mardi 24 mars 2009

L'inspectrice

L'inspectrice est revenue. Elle s'est assise incognito à une table du Café Clochette.
- Tiens, bonjour inspecteur.
- Trice.
- Pardon ?
- Trice, c'est inspectrice.
- Ah oui pardon, bonjour inspectrice. Tout va bien ?
Elle n'a pas répondu, elle a commandé un thé aux épices du Bengale. Je ne savais pas trop quelle était l'étiquette en pareil cas. S'enquérir de sa santé ? demander des nouvelles de notre "ami commun" ?
Dans le doute, j'ai fait remarquer qu'il faisait beau ces derniers temps. Elle s'est perdue dans la contemplation du sucrier. Il est bizarre ce sucrier en ce moment. Il est censé ne verser qu'une dose à chaque fois qu'on l'incline, par une curiosité physique dont j'avoue qu'elle m'est encore impénétrable, mais depuis quelques jours, il continue à verser sans vergogne au lieu de s'arrêter tout seul. J'ai hésité à faire part de cette particularité à l'inspectrice, et puis je me suis dit que ça allait lui sembler étrange, un peu. J'allais me résoudre à la laisser finir son thé tranquille quand elle a levé la tête et m'a demandé pourquoi j'avais des chats. J'ai eu envie de lui dire que c'était une anti-catachrèse incarnée, pour lutter par anticipation contre le cliché qui veut qu'il n'y ait pas un chat, mais j'ai eu peur de m'embrouiller dans mes explications. Ca m'arrive.
Mais elle a enchaîné tout de suite en évoquant un problème de rongeurs au commissariat de la TA. J'ai failli lui faire part de mon expérience en matière de vétérinaires et de rongeurs mais je n'ai pas réussi à en placer une, pour finir. Elle m'a expliqué que les dossiers grignotés dans les coins n'étaient qu'une vue de l'esprit puisque désormais tout est informatisé (et moi qui m'imaginais des tiroirs en métal comme dans les romans policiers américains en noir et blanc, enfin vous voyez ce que je veux dire), mais que parfois, au détour d'un couloir, on se causait des souris qui décampent au milieu de la nuit, au moment du changement d'équipe, et qu'on entend déraper dans les coins. Et qu'elle se disait de temps en temps que ce serait bien d'avoir un chat à demeure au commissariat, qui se ferait grattouiller les oreilles par les policiers entre deux patrouilles et approvisionner en croquettes à tour de rôle.
J'allais m'asseoir et discuter la question du bout de gras (les chats aiment les bouts de gras mais ça n'est pas bon pour leur santé, il faut savoir ne leur en laisser qu'avec modération) quand... Ô vous, lecteurs curieux de la grande histoire, écoutez-en l’horrible tragédie et vous abstenez de frémir si vous pouvez.* Il faut pourtant bien appeler un chat un chat.** Or les chats sont mortels; Socrate est mortel; donc Socrate est un chat.*** La morgue est un endroit peu engageant, pour ne pas dire lugubre, surtout la nuit.****
Ca y est, je me suis embrouillée toute seule, c'est malin. Vous n'allez plus rien y comprendre et vous allez croire que j'ai inventé tout ça. Ce serait quand même dommage, parce que la réalité est bien plus forte que moi et fait en sorte que mes histoires les plus compliquées ne lui arrivent qu'à la cheville. Donc la vérité vraie. Pouf pouf.

*Rousseau, Confessions.
** Sagesse populaire.
*** Ionesco.
**** Joyce.

L'inspectrice a fini de me parler de chat, a poussé un soupir et m'a demandé si j'avais eu des nouvelles de Monsieur Glacière. J'ai dit que non, mais que comme mon téléphone avait connu une panne, ce n'était pas forcément étonnant. Elle a fait une petite grimace et m'a demandé si le téléphone était vraiment en panne. J'ai dit que oui et que je l'avais changé. Elle a refait une petite grimace et m'a demandé si j'avais toujours l'ancien, des fois qu'on puisse retrouver le numéro d'où Monsieur Glacière m'avait appelée.
Dix minutes plus tard, elle partait avec mon vieux téléphone sous le bras. Quelque chose me dit que je ne vais pas le récupérer de sitôt et que ce n'est pas demain la veille que vous allez pouvoir laisser des messages au Café Clochette.

3 commentaires:

BrightEyedMum a dit…

Ouais, mais le lundi, point d'ouverture, donc, pour faire simple, elle est venue quand, quel est ton alibi ???

Ablessn : interj. à utiliser quand on se mélange les pinceaux dans les formules étrangères de salutations et de bénédiction...

Anonyme a dit…

quelque chose me dit, à moi, que tu abuses du thé parfumé, toi !

et pour ta gouverne, sache que oui, il traîne encore beaucoup d'armoires de classement métalliques à la T.A... tout informatisés qu'ils soient, ces chers gardiens de notre paix...

et sache aussi (à intégrer peut-être dans les prochaines aventures de monsieur Glacière ?) que les inspecteurs de police n'existent plus...

mais sinon, j'ai bien ri !!!

Anonyme a dit…

comment ça Frédo les inspecteurs de police n'existent plus? tous remplacés par des inspectrices? chat alors!

romatere: variété très spéciale de thé, que la cafelière se sert en douce pendant le service pour fictionner, l'air de rien.

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