dimanche 28 février 2010

Il était une ou trois fois

Aujourd'hui, nous arrivons ensemble, cher lecteur, au cinq centième billet de ce blog.
Ces derniers temps, je me suis souvent demandée si je tenais un blog pour parler du restaurant ou si j'avais un restaurant pour justifier mon blog. Pour être totalement honnête avec vous, je n'ai pas réussi à trancher cette question hautement existentielle et passablement pourvoyeuse d'insomnies. Enfin non : les insomnies ont disparu (je suis sûre que cette nouvelle va vous faire déborder d'une joie sans mélange ; du moins si vous êtes des habitués, sans doute serez-vous rassurés d'apprendre que le risque de mordre dans un sablé auquel manque le beurre, par la faute d'une fatigue telle que je n'arrive plus à me souvenir des bases de l'artisanat pâtissier, a pratiquement disparu - à moins qu'une préoccupation d'un autre ordre ne prenne bientôt le relais, mais c'est de ça que je venais vous causer, justement), mais je continue à m'interroger sur l'avenir. Restaurant... blog... vie associative diverse et variée... vie privée diverse et variée aussi... apprentissage des langues défuntes (ou des feintes, allez savoir)... activité de maman de petit bonhomme devenu tout à fait grand en l'espace d'un instant dirait-on... tout ça commence à faire beaucoup.
Je sais que pour tous ceux qui rêvent de créer leur entreprise, l'idée que je veuille quitter la mienne alors qu'elle est en train de fonctionner comme je l'espérais risque de sembler soit outrecuidant, soit simplement idiot. Mais c'est comme ça. Pour ne pas me sentir immobile, j'ai besoin de bouger, une histoire de savoir que je suis toujours bien en vie, peut-être. Déserter lâchement Tancrède, Prosper (revenu à la vie récemment, je vous raconterai ça), Charmaine et les autres, ce n'est pas comme une désertion que je le vois, c'est plutôt comme le retour en la confiance dans le vent qui me poussera un peu plus loin sur le chemin. Précisons immédiatement et à toutes fins utiles que c'est un projet à long terme, que vous me verrez encore pendant tout un tas de mois avant que je ne parte voir ailleurs, que j'ai encore un classeur gros comme ça de recettes à tester, des tas de billets de blog encore à écrire et un livre de recettes à livrer à ceux qui l'attendent depuis un moment, et qu'enfin, selon toute probabilité, le Café Clochette survivra au départ de son initiatrice (moi), parce que j'y mettrai tout mon zèle et toutes mes énergies.
Il y a toute une partie de ma vie qui n'apparaît pas ici, simplement parce que parler de cette vie-là n'aurait pas sa place ici. Pourtant ça oriente toute mon activité, y compris au Café Clochette et dans l'avenir. En un mot comme en cinq cent, mon école buissonnière à moi me pousse du côté de la fac de théologie.
En restant au Café Clochette, l'écueil, somme toute, ce serait de se laisser aller à la facilité. Entendez-moi bien ! je ne dis pas que c'est facile de tenir le Café Clochette, loin de là, d'ailleurs c'est la principale des choses que j'ai à dire à toutes ces créatrices d'entreprise en puissance qui viennent me voir pour me demander comment on s'y prend pour ouvrir un petit salon de thé tranquille : la tranquillité, c'est fini... c'est ce que vous aurez de plus dur à faire, à l'exception sans doute d'élever un enfant. Donc ce n'est pas facile. Pourtant il y a quand même une part de facilité dans l'enchaînement du quotidien. De minute en minute, on fait face à ce qui arrive, on évolue en terrain à peu près connu, on s'appuie sur des gens souvent rencontrés et vraiment appréciés. C'est difficile à expliquer, somme toute. L'impression quand même que le quotidien, aussi palpitant soit-il, risque de nous submerger et qu'on s'y sente tellement habitué qu'on ne prenne plus de risques. Voilà, c'est peut-être ça : il faut pouvoir continuer à prendre des risques.
Certes, le risque de la rencontre, ici, c'est en permanence. Toutes les mamans qui viennent ici au détour d'un congé de maternité le savent : on n'est jamais aussi isolée que jeune maman centrée sur son bébé, que le monde extérieur ne voit plus guère que comme une maman qui n'a pas grand-chose à partager. Retrouver les rencontres, d'abord fortuites, à la boulangerie ou au détour d'une rue pour saluer les voisins, c'est important. Pouvoir trouver un lieu qui s'y prête, c'est important aussi. Ici, c'est un peu ça. Comme dirait quelqu'un que j'aime bien, ici c'est un peu le Papier Timbré version féminine - et ça me va très bien !
Le risque de la petite entreprise, si vous lisez ce blog depuis un moment, vous savez qu'on le vit ici et vous voyez à quoi ça peut correspondre. C'est étrangement grisant, terriblement frustrant, cause d'orgueil et de joie mais aussi de trouille.
Mais il y a d'autres risques. Réfléchir, par exemple. Mine de rien, ça me manque de réfléchir comme je le faisais avant. Apprendre. Des choses apparemment inutiles, par exemple. Le risque du vide, de l'inactivité, de la passivité où il peut arriver des choses inattendues. Le risque de goûter le temps qui passe. Le risque de voir grandir ses enfants pour de vrai. Le risque de risquer des mots sur du papier juste pour voir ce qui se passe. Le risque de risquer une parole différente. Le risque du service, buissonnier et poétique s'il le faut. Le risque d'aller voir ailleurs si j'y suis.
Voilà, un de ces jours j'y serai, ailleurs. Quelle trouille - et quel émerveillement. Un peu comme avoir écrit 500 billets de blog depuis le tout premier...

samedi 27 février 2010

Emerveillementhes à l'eau

- Maman, je voudrais bien une guenadine, dit le petit garçon en confidence à sa maman.
- Et bien va demander à la dame si tu peux en avoir une, répond la maman.
- Dis, madame, je peux avoir une guenadine, siltoplé ? me demande le petit garçon.
- Oui bien sûr mon bonhomme, je te l'amène.
- Maman ! galope le petit bonhomme émerveillé. Elle a dit oui !

vendredi 26 février 2010

Chaussons de cloche

- Dis, Pascale, on a un problème, là.
Christine me regarde, l'air soucieux, le plateau plein d'assiettes vides dans les mains.
- Sous la table, là, il y a des chaussons d'adulte.
- ???
- Tu crois que la dame, là, elle est venue avec ses chaussons et qu'elle les a oubliés ?
- Des chaussons ? sous la table ? attends... ça m'évoque un truc, là.
Rembobinage rapide. Je suis en train de dîner... j'ai oublié un verre... je vais le chercher en cuisine... je me ravise et mets mes chaussures pour aller prendre le dessert ailleurs... Ah oui, ça s'explique.
Ca peut expliquer aussi le petit sourire de la dame au moment où elle a payé.
Il s'en passe des choses ici. Et encore, on ne vous raconte pas les commandes alambiquées qui nous font pouffer de rire en cuisine et les aléas autour des entrées cette dernière semaine. Pour connaître tout ça, il faudrait que vous travailliez ici. Croyez-moi, ça forge le caractère. Et les zygomatiques.

mercredi 24 février 2010

Sablés à la figue

Dans la bible des petits gâteaux, le livre de la grande Martha Stewart, on trouve une recette magnifique de sablés à la figue. Bravo, chère Martha, c'est encore une belle réussite...


Barres fourrées à la figue

La pâte sablée : dans un robot équipé de la lame, battre 230g de beurre et 100g de sucre. Ajouter ensuite un oeuf et un jaune d'oeuf, un sachet de sucre vanillé et un zeste de citron, bien mélanger. Incorporer ensuite 350g de farine, une pincée de sel. Diviser la pâte en deux et la mettre au frigo pour la durcir.

La garniture : dans une casserole, mettre 500g de figues moelleuses coupées en petits morceaux, 60ml de miel, 250ml de vin rouge, 250ml d'eau, de la cannelle et du poivre. Faire réduire à petit feu pendant 30mn environ. Mixer puis laisser refroidir.

L'assemblage : étaler chaque moitié de pâte en rectangle, mettre la moitié de la garniture sur une des deux moitiés et couvrir avec l'autre. Dorer avec un jaune d'oeuf délayé dans un peu de lait, tracer des lignes sur la pâte du dessus pour pouvoir la couper plus facilement après cuisson puis cuire à 190°C pendant 25 à 30 mn. Laisser refroidir, couper selon les lignes.

mardi 23 février 2010

Langue des signes pour les bébés

Demain mercredi, de 10h30 à 11h30, Manou organise un atelier de découverte de la langue des signes à destination des bébés.
Vous n'avez jamais vu ça ? croyez-moi, quand MiniLoup, qui ne savait pas encore parler, a fait son premier signe en entendant aboyer un chien, j'ai été prise d'une telle fierté que cette image-là ne s'effacera jamais. Ils sont très forts nos petits, pour communiquer avant de savoir parler... on peut leur donner cette chance d'apprendre quelques signes qui faciliteront la communication au quotidien et renforceront le lien entre adultes et enfants.
C'est ouvert à tous, n'hésitez pas à venir découvrir.

lundi 22 février 2010

Travail visible et travail invisible

Quand même, on mange bien, chez vous !
C'est le genre de commentaire de clients en partance qui vous fait rosir à tout coup... et pourtant ces derniers temps je me demande si ça ne pointe pas vers un problème lié à la stratégie com' du Café Clochette. En gros, lié au fait qu'ici c'est un restaurant. Un petit, tout petit restaurant, mais un restaurant quand même. Ce qui signifie que je passe le plus clair de mon temps aux activités menées habituellement par les restaurateurs, à savoir : faire la cuisine, la servir et la penser. Mais tout compte fait, ce n'est peut-être pas ce qui se voit le plus (ni même ce dont je parle le plus ici même, tiens, d'ailleurs).
Lorsque j'ai commencé à réfléchir à un "café des bébés", il y a plus de deux ans, j'imaginais un salon de thé un peu alternatif, avec des rencontres, des ateliers, du lien social, de la vie quoi. Et puis il a bien fallu transformer ce rêve en quelque chose de plus tangible, mettre des chiffres dans des tableaux, imaginer comment entrer dans la réalité. Petit à petit, l'idée de trouver un chiffre d'affaire ailleurs que dans le lien social a bien dû s'imposer... Mister C. a, sans avoir l'air d'y toucher, mis le cap sur la restauration et je l'ai suivi bien volontiers. Dame, quand un expert-comptable sérieux vous dit "vous n'avez jamais pensé à faire des plats à manger le midi" et que sans vous l'avouer vous y pensiez depuis des années au cours de tous les dîners rigolos organisés pour les copains et d'autres, que depuis des années on vous disait "toi, tu devrais ouvrir un restaurant" et que vous rigoliez en haussant les épaules parce que non, la restauration, c'était un métier sérieux, du travail, du vrai, pas juste quelques heures en cuisine le jour J, que pour vous un restaurant c'était une armée de marmitons affairés à éplucher des carottes et pas votre pauvre planche à découper perso couverte d'épluchures... dame, disais-je, quand un expert-comptable vous dit que vous devriez faire la cuisine pour gagner votre vie et qu'il prend son air tout sérieux avec les sourcils froncés, et bien là vous commencez à y réfléchir. A vous prendre au jeu. A vous dire que vous savez faire quelques recettes qui ont toujours marché. Que de toute façon vous n'avez rien à perdre. Que ça peut être une expérience du tonnerre. Que de toute façon, il va bien falloir lui faire prendre de l'ampleur, à ce chiffre d'affaires prévisionnel. Alors bon. Autant essayer.
Ca fait plus d'un an que j'essaie et comme toujours dans ces cas-là, c'est le désir secret qui sous-tendait l'entreprise qui a pris le dessus. Maintenant, pour moi, le Café Clochette c'est d'abord un restaurant. Le temps que je passe à m'en occuper, il est surtout passé dans ou autour de la cuisine. Alors peut-être, juste peut-être... qu'il y a comme un décalage entre la façon dont je considère ce travail et ce qui se voit à l'extérieur. Comme si le fait que ce soit un restaurant, qui me réjouit et m'angoisse tout à la fois, était destiné à rester comme une énigme pour les gens qui le fréquentent. Comme si le travail que je fais vraiment devait rester invisible.
Et vous savez quoi ? c'est sans doute très bien comme ça. Si je ne croyais pas que c'est dans les failles de la communication que la communication se joue vraiment, qu'il se passe quelque chose là où on n'y pensait pas, je ferais un autre métier. Tiens, j'éplucherais des carottes. Ah non. Ca, je le fais déjà...

samedi 20 février 2010

Cassettes

- Dis, madame, il y a des cassettes, cé toi ?
Qu'elle me demande, la petite fille, toute souriante et barbouillée de chocolat.
- Ma cassette ? ma chère cassette ? eh quoi, est-ce qu'elle n'y est plus, au fond de la courette ? Hélas, mon esprit est troublé, et j'ignore où je suis, qui je suis, et ce que je fais. Allons vite, des commissaires, des archers, des prévôts, des juges, des gênes, des potences et des bourreaux. Ah ! je meurs, je suis morte, je suis toute défunte !
(Elle me regarde un tantinet intriguée.)
- Est-ce bien cela, petite, que tu me demandes ?
- Ben oui, des cassettes, pour se casser.
- Que... ?
- Ben pour zouer à casse-casse, quoi !

Qu'elle me dit.

vendredi 19 février 2010

Un plomb dans la plume

Il suffit de débrancher et de rebrancher, qu'il m'a dit au bout du fil, le technicien de Monsieur d'Arthy. Le fil de la cuisinière étant branché directement dans le mur, je ne pouvais ni débrancher ni rebrancher, mais l'homme de l'art avait prévu ce cas de figure et m'a orientée vers le tableau électrique, "il suffit de faire sauter le plomb", qu'il a dit, le monsieur.
Pour accéder au tableau électrique, au Café Clochette, il faut attendre que tous les petits aient déserté le coin jeu, parce qu'il est pile au-dessus. Pour que les petits désertent le coin jeu, il faut attendre que le Café soit fermé. Pour ouvrir la porte qui dissimule le tableau électrique, il faut un couteau solide. Pour utiliser le couteau solide afin d'ouvrir la porte qui dissimule le tableau électrique, il faut faire levier. Pour faire levier pour utiliser le couteau solide afin d'ouvrir la porte qui dissimule le tableau électrique, il faut y aller en douceur, trèèèèès en douceur. Ce qui explique que je me sois gavée de granules d'arnica peu après avoir tenté la manoeuvre. Une fois l'accès libéré, il suffisait, disait le monsieur, de baisser le plomb correspondant à la cuisinière.
(Grand silence blanc des steppes sibériennes.)
Aucun plomb ne portait la mention "cuisinière". Il y avait le circuit électrique de la SdB, l'éclairage général, la chaudière et deux ou trois autres choses fort utiles, mais de plomb dédié à la cuisinière, point. Je les ai quand même essayés tous, les uns après les autres, provoquant dans les étages des biiips indignés des réveils qui se remettaient en marche, mais la cuisinière, aux dires de MiniLoup propulsé guetteur en chef d'extinction des lumières de la cuisinière, n'était nulle part connectée à un plomb sur ce tableau-là. Grand moment de solitude face à la technique. Regrets profonds de ne plus avoir d'âtre noircie par la fumée où concocter mes cuisinages quotidiens. Vague nostalgie de mes anciens métiers. Soupir.
C'est un client, heureux homme à l'intelligence affûtée, qui s'était attardé pour une histoire d'urgence pâtissière à destination d'une petite fille haute comme trois pommes, qui a eu un trait de génie fulgurant et qui m'a demandé : "vous n'avez pas un autre tableau ?"
(Silence.)
Ah mais si. Maintenant que j'y pense, quand Mister T. a créé la cuisine du Café Clochette, il a effectivement dissimulé un autre tableau sous l'escalier. Lequel doit, forcément, comporter un certain nombre de plombs. Le temps de me regaver de granules après avoir remis, péniblement, la porte au-dessus du coin jeux, vérifié que tous mes doigts sont encore en vague état de marche dans l'espoir de pouvoir éplucher les patates quotidiennes pour la purée au romarin et trouvé une lampe de poche pour une exploration hasardeuse sous l'escalier, le voici le voilà : le deuxième tableau. Mister T., vous êtes un grand homme. En plus, votre spécialité en tant qu'électricien s'appuie sur tout un tas de lettres grecques et pour l'instant, il ne m'en faut pas plus pour avoir confiance en la vie. Bref. MiniLoup, le nez toujours collé au tableau de bord de la cuisinière, attendait patiemment la fin des opérations en grignotant des noix de cajou. On s'est briefé par interpellations successives et paf, on est tombés sur le bon plomb, après avoir interrompu le frigo dans son élan et, sans doute, troublé Tancrède jusqu'aux tréfonds de son petit coeur mécanique.
Un quart d'heure plus tard, preuve était faite que la cuisinière (qui n'a pas de nom, tiens au fait, si mes valeureux lecteurs s'ennuient ces temps-ci, peut-être aimeraient-ils s'aventurer à lui en trouver un ?) ne souffrait que d'un bug électronique et que la coupure lui avait été salvatrice. Les plaques qui s'étaient mises en grève ont repris le collier, celles qui marchaient continuent (et le four, impavide, a cuit sans rouspéter aujourd'hui les cinq fournées de gâteaux du jour). Soulagement général au fond de la cuisine. Et re-granules pour cause de relèvement trop rapide, pile sous un coin de marche de l'escalier. Comme a dit MiniLoup en crachotant des miettes de noix de cajou : "tu vois maman, c'était pas dur, y fallait juste trouver le tromblon".
Enfin il avait raison le monsieur : débrancher et rebrancher, par exemple en quittant les rivages du Café Clochette pour aller prendre l'air ailleurs et de préférence en agréable compagnie, il n'y a rien de mieux pour éviter de faire sauter les plombs de la cafelière. Dont acte, granules et noix de cajou.

jeudi 18 février 2010

Induction la branche sur laquelle...

En ancienne universitaire disciplinée, quand il m'arrive une tuile, en général je fonce sur la documentation disponible. Il m'arrive de demander son avis à MiniLoup (en particulier en matière de dinosaures, de camions bennes ou d'extermination de cauchemars), mais quand ma cuisinière à induction s'est mise en grève partielle hier midi, je me suis trouvée benête. Le manuel ne m'était d'aucune utilité puisque la liste des codes d'erreur ne comprenait pas l'erreur qui arrivait pour de vrai : le silence le plus total de la moitié des plaques. Du haut du petit nuage où je flotte depuis quelques jours, je n'ai même pas paniqué, j'ai simplement ôté de sa plaque le rougail saucisse qui avait brutalement cessé de mijoter gentiment et je l'ai posé sur une plaque de secours, car la cafelière, si elle a une légère tendance à mettre tous ses oeufs dans le même panier, est malgré tout prudente face à l'électronique et avait vaguement prévu le coup. N'empêche que ces deux feux inopérants, ça m'énervait un brin.
Le recours suivant, c'est internet bien sûr. Je suis donc tombée sur la rubrique "induction" sur Wikipedia, je cite :
"À la différence de la déduction qui impose des propositions de départ non supposées vraies, l'induction se propose de chercher des lois générales à partir de l'observation de faits particuliers, sur une base probabiliste.
L'idée de départ de l'induction était que la répétition d'un phénomène en augmente la probabilité de le voir se reproduire. C'est là proprement la façon dont réagit le cerveau chez le chien de Pavlov par exemple. L'accumulation de faits concordants et l'absence de contre-exemples permet ensuite d'augmenter le niveau de plausibilité de la loi jusqu'au moment où on choisit par simplification de la considérer comme une quasi certitude : ainsi en est-il du deuxième principe de la thermodynamique. En aucun cas, cependant, on n'atteindra la certitude, tout contre exemple étant susceptible de remettre immédiatement cette "loi" en cause."
Ah.
Voyons si on peut paraphraser pour y voir plus clair, voulez-vous ?
"À la différence de la déduction qui impose des propositions de départ non supposées vraies" : mettons que cette phrase est vraie, j'en déduis que le nombre de mes neurones s'est singulièrement rétréci depuis quelques années.
"l'induction se propose de chercher des lois générales à partir de l'observation de faits particuliers" : je constate que ces mots alignés ressemblent furieusement à une phrase et j'en tire la conclusion qu'à chaque fois que je verrai ces mots alignés, je serai face à une phrase...
"sur une base probabiliste" : ... ou pas. Ca dépend.
"L'idée de départ de l'induction était que la répétition d'un phénomène en augmente la probabilité de le voir se reproduire. C'est là proprement la façon dont réagit le cerveau chez le chien de Pavlov par exemple" : quand je fais du Caranut, j'oublie systématiquement la casserole sur le feu et les Carambars attachent au fond, encore ce matin, tiens. Le toutou que j'ai dans le cerveau s'y est tellement habitué qu'il sort le gratton à casseroles en même temps que les Carambars. Oui, là je comprends. Les bêtises prévisibles ne sont que la sédimentation d'une répétition névrotique, en gros, et plus je fais de bêtises plus je suis prête à croire que j'en fais.
"L'accumulation de faits concordants et l'absence de contre-exemples permet ensuite d'augmenter le niveau de plausibilité de la loi jusqu'au moment où on choisit par simplification de la considérer comme une quasi certitude : ainsi en est-il du deuxième principe de la thermodynamique" : dans le cas qui nous occupe, j'étais toute prête à croire, au vu des jours qui se sont succédés depuis l'arrivée au Café Clochette de cette toute belle cuisinière, qu'elle allait continuer à fonctionner jusqu'au bout du bout. Le principe de l'induction, cependant, a fait entrer le doute en mon esprit et je ne puis plus que la considérer d'un oeil suspicieux, la pauvre. Encore un coup du deuxième principe de la thermodynamique, ça, on ne s'en méfie jamais assez. L'irréversibilité du chaos au fond de ma cuisine, ça me fait prendre conscience qu'on est quand même pas grand-chose sur cette terre (ça et le fait que je manque un peu de sommeil, peut-être).
"En aucun cas, cependant, on n'atteindra la certitude, tout contre exemple étant susceptible de remettre immédiatement cette "loi" en cause" : ah voilà, si vous trouvez que nos législateurs font une boulette, il vous suffit de vous appuyer sur l'induction pour remettre en cause leurs textes, plus besoin de faire des pétitions ou de défiler dans la rue. Encore que ça ne soit pas forcément un exemple politique des plus convaincants pour les générations à venir : vous vous voyez dire à vos enfants "pas de certitude, mon enfant, quand tu auras fait de la philo et serré la pince à Aristote et ses copains, tu pourras contester l'ordre établi, en attendant range ta chambre !" ? Pas sûr que ça marche, je vous le dis.
En attendant, la probabilité que ma cuisinière remarche sans intervention extérieure est assez faible au regard des observations successives auxquelles je la soumets depuis hier.
Allo, Monsieur d'Arthy ? dites, si votre technicien ne parvient pas à dépanner ma cuisinière, est-ce que vous auriez une cuisinière à déduction, pour changer ?

mardi 16 février 2010

Le concept d'oiseau n'aboie pas

Quel drôle d'oiseau, quand même, cet oiseau à qui on dit depuis quelque temps qu'il a une plume ! Vous croyez que c'est facile, vous, quand on est un oiseau, de voler avec une seule plume ? C'est pour ça qu'il s'acharne, avec ses petites pattes griffues, à concocter des gâteaux et autres trucs à manger et qu'il fait de son mieux pour s'aérer, histoire d'être en contact de temps en temps avec son élément naturel, l'air du temps.
Mais jour après jour ou presque, c'est vrai que je suis attirée comme par un aimant (celui du pôle, peut-être) pour vous raconter mes histoires par ici. Encore une belle chose que m'a apprise cette année et quelque, la plus incroyable que j'aie jamais vécue : je peux faire confiance à la pulsion d'écrire qui me vient au bout de ma plume solitaire de piaf désaxé. Encore que ces derniers temps, il me soit revenu aux oreilles quelques réclamations : quoi, plus de Cerfas ? et Mister C., où est-il passé ? et pourquoi tant de recettes pour nous autres pauvres lecteurs qui honnissons notre cuisine ? et ce fantôme, là, c'est quoi ? et l'inspectrice, elle est où ? J'envisage d'ailleurs d'ouvrir un cahier de doléances, histoire de préparer la révolution en douceur.
Tiens, en parlant de révolution. Il paraîtrait qu'elle est en marche, j'ai l'information de première main, et j'ai promis de faire des gâteaux aux valeureux combattants. Alors je vous laisse, vous comprenez. D'autant que j'ai encore le monde à changer avant demain matin.

lundi 15 février 2010

Galerie

MiniLoup a ramené ses dessins de l'école.
- Et là, tu vois maman, c'est un vaisseau. Mais là c'est du crabouillage. Mais à côté, c'est un plan de vaisseau.
- Ah oui. Et là, c'est un petit lapin ?
- Nan. C'est une mitraillette. Et là, c'est un autre vaisseau, avec les trois feux pour décoller : le fusil, le feu et la mitraillette.
- Ah oui. Je t'ai déjà parlé de Martin Luther King ?
- Nan. Et là, c'est un mélange de couleurs. C'est pour savoir quelle couleur on va peindre la fusée. Et puis là, c'est un méchant, mais j'ai emmené le fusil dans la fusée.
- Ah.
- Et là, tu vois, j'ai dessiné une maison.
- Tiens ? on dirait une feuille toute verte.
- Nan, c'est une maison. Mais t'inquiète pas, il y a un arbre dans le jardin de la maison.
- Avec un écureuil qui discute avec un petit lapin ?
- Nan. Derrière le garage où on range la fusée.

L'âge bucolique, ça doit être plus tard. Ou alors je ne l'ai pas vu passer.

samedi 13 février 2010

Analyse spectrale

Tiens, je vous l'avais bien dit, que la cafelière gardait un billet dans sa manche qui ferait bailler n'importe quelle corneille aux oiseaux. Ca lui prend de temps en temps. Remarquez, en temps ordinaire c'est quelqu'un de très urbain et poli, on ne peut pas lui en vouloir de courir sur le haricot de son lectorat de temps à autre, quand même. Ce n'est pas comme si elle passait son temps à essayer de brouiller les pistes en écrivant des billets cryptiques, non plus. Tiens, hier encore je l'ai vue se gratter la tête pendant un bon quart d'heure à se demander comment elle pourrait bien faire pour simplifier sa recette de curry de légumes d'hiver, histoire de la rendre lisible par le commun des mortels. Pas par moi, donc. A moins de considérer que je suis définitivement mortel, je ne vois pas comment on peut contourner le paradoxe de ma fantômitude.
Vous n'avez jamais réfléchi à ça ? Mais voyons, songez-y une seconde : un fantôme, c'est à la fois mort et vivant, désincarné et incarné, substantiel et insubstantiel, silencieux et bavard. C'est un paradoxe (presque) incarné, en somme. Si vous croyez que je n'ai jamais réfléchi à ça... la condition de fantôme, c'est lourd à porter voyez-vous. Pourtant, je ne pèse rien. Paradoxe !
Enfin je ne vais pas vous en faire un cours d'amphi non plus, deux jours de suite ça commencerait à bien faire. Je vous ai raconté l'année où j'ai été prof ? Enfin j'étais un des assistants du professeur de philologie au Collège royal. Ah, le temps où les humanités étaient considérées... le bon temps... J'étais arrivé là un peu par hasard ceci dit, par un quiproquo qui m'a valu plus tard d'être expulsé sans ambages, mais si j'ai le temps je vous en parlerai un autre jour. Enfin c'était un monde très masculin à l'époque le Collège royal, depuis qu'il s'appelle "de France" ça a un peu changé, on y croise même des doctorantes en jupes, dites donc. J'y ai fait un tour il y a un an ou deux, par nostalgie, et je me suis retrouvé dans le département des études cognitives. J'ai un peu blagué les deux étudiants qui se trouvaient là en bouleversant leurs mesures, ce n'était pas très dur, il suffisait que je passe au travers de l'IRM pour faire apparaître une activité cérébrale qu'ils n'avaient pas du tout l'air d'attendre, c'était très rigolo. Après, j'aurais bien pris un café en terrasse sur le boulevard Saint-Michel, mais quand on est un fantôme, c'est une des choses qu'on ne peut pas faire. Alors j'ai fini ma journée en allant m'asseoir dans un cinéma où j'ai revu un vieux Woody Allen, de la première période. Le seul souci dans un cinéma quand on est un fantôme, c'est si on s'endort : immanquablement quelqu'un vient s'asseoir sur vous et c'est très désagréable.
Un peu comme quand un chat vous chatouille avec ses moustaches en rêvant qu'il chasse la souris. Croyez-moi, par ici, ça arrive. Ici, pas de félins possibles. Ben quoi, moi aussi je peux faire des calembours idiots.

vendredi 12 février 2010

שבולת

Depuis un an, je picore du grec ancien au gré de mes rares loisirs. Il est très destabilisant, pour la traductrice que je suis encore en filigrane, de faire de la traduction sans saisir, et de loin, toutes les nuances de la langue traduite.
Ca m'évoque la découverte du langage par les enfants : on procède par sédimentation de la répétition, pas par logique. A force de voir et d'entendre les mêmes mots aux mêmes places, on finit par comprendre à quoi il servent, même si on ne retient pas encore ce qu'ils veulent dire. Et puis on écoute ceux qui maîtrisent la langue dans ses subtilités et c'est leur plaisir de parler qui se transmet. Il surnage ainsi quelques petites choses qui, si elles ne m'aident guère pour l'instant à lire couramment (d'autant que d'une fois sur l'autre j'oublie le son de certaines lettres), me fascinent par leur signification.
Un de ces détails, c'est le temps qui s'appelle "aoriste". Que les distingués hellénistes du présent lectorat me pardonnent si je raconte n'importe quoi, je vais essayer quand même. L'aoriste, ce n'est ni du présent ni du passé, c'est un temps qui désigne une action dont la durée n'est pas précisée et qu'on représente dans son intégralité. On pourrait le dire comme ça, tout à la fois : "ça arrive ; c'est en train d'arriver ; ça se déroule ; peu importe qu'il y ait un début ou une fin, c'est une action pure". Au lieu de dire "je marche", dans ce temps-là c'est "depuis longtemps je marche et pour toute l'éternité, dans ce temps donné"... c'est curieux non ?
L'action, toute l'action et rien que l'action, en somme, à la fois unique et toujours en train d'advenir. C'est extraordinaire ce que ça ouvre comme horizons : on peut dire dans cette langue des choses qu'on ne dit pas dans la nôtre, où on ne peut même pas les concevoir, ou de très loin. Je me suis laissé dire qu'un temps de l'hébreu était encore plus extraordinaire et qu'il donnait au terme "éternité" une connotation qu'il n'a pas dans la nôtre. Enfin je m'arrête avant de raconter trop de bêtises...
En réalité, plus ça va et plus j'ai envie de me consacrer à ces questions-là. Je suis faite pour être une éternelle étudiante, sans doute. A l'aoriste ou pas... Mais je vous en reparlerai un de ces jours.
Avant de perdre tout à fait votre attention au terme de ce billet tout bizarre et mal foutu, je me permets de vous ramener à la dure réalité, telle qu'illustrée par une phrase épique de mon fiston.
- Maman, pourquoi tu lis ce truc encore ?
- Parce que je voudrais bien connaître le fin mot de l'histoire.
- Et le gros mot, tu veux pas le connaître ?

jeudi 11 février 2010

Le moulin hanté, 3 et fin

Le cinquième soir, lorsque Joe se réveilla comme il le faisait désormais toutes les nuits à minuit, le fantôme était là, l’air complètement abattu et terriblement triste. Il y avait dans ses yeux une lueur de supplication qui toucha mon beau-frère.
« Après tout, se dit-il, peut-être bien que ce pauvre bougre fait de son mieux. Peut-être qu’il a oublié où il l’a mis et qu’il essaye de s’en souvenir. Je vais lui donner une dernière chance. »
Le fantôme eut l’air ravi et plein de reconnaissance lorsqu’il vit Joe s’apprêter à le suivre et il le mena tout droit jusqu’au grenier, où il pointa le doigt vers le toit avant de disparaître.
« Bon, j’espère qu’il a trouvé, cette fois », dit mon beau-frère et, dès le lendemain, ils se mirent au travail pour enlever le toit. Il leur fallut trois jours pour le démonter entièrement et tout ce qu’ils trouvèrent fut un nid d’oiseau. Ils le mirent soigneusement de côté et couvrirent le moulin avec des bâches pour le protéger de l’humidité.
Vous devez vous dire que ça a guéri le pauvre homme et qu’il a renoncé à chercher le trésor. Mais pas du tout. Il disait qu’il y avait forcément quelque chose, sinon le fantôme ne serait pas réapparu tout le temps comme ça ; et que puisqu’il avait déjà fait tout ça, il irait jusqu’au bout et qu’il éluciderait ce mystère, quoi qu’il put lui en coûter.
Nuit après nuit, il sortait du lit et suivait ce vieil escroc spectral partout dans le moulin. Toutes les nuits, le vieil homme indiquait un nouveau recoin et, tous les jours, mon beau-frère s’acharnait à détruire le vieux moulin à l’endroit qui lui avait été indiqué afin de retrouver le trésor. Au bout de trois semaines, il n’y avait plus une seule pièce habitable. Tous les murs avaient été cassés, tous les planchers étaient démontés et tous les plafonds crevés. Et puis, aussi soudainement qu’elles avaient commencé, les visites du fantôme cessèrent et mon beau-frère retrouva toute la paix dont il avait besoin pour reconstruire le bâtiment en prenant son temps.
Qu’est-ce qui a pu pousser ce barbon de revenant à jouer un tour aussi pendable à un honnête contribuable et père de famille, me demanderez-vous – mais c’est précisément ce que je ne sais pas. Certains dirent que le fantôme du vieux sacripant avait fait tout ça pour le punir de ne pas avoir cru en lui dès le début ; d’autres affirmèrent que l’apparition était probablement le fantôme d’un plombier ou d’un vitrier du coin, qui ne pouvait que se délecter de voir une maison massacrée ainsi. Mais personne n’eut jamais la moindre certitude sur le sujet.

Jerome K. Jerome (1859-1927)
« The Haunted Mill, or the Ruined Home » dans Told After Supper (1891)
© Pascale Renaud-Grosbras pour la traduction

mercredi 10 février 2010

Analyse complète du système en cours

- Maman !
- Oui mon loup des champs ?
- On peut monter maintenant pour construire mon lit ?
- Non mon loup, il y a encore plein de gens dans le café, on montera après.
- Mais euhhhhh ! moi je veux monter !
- Et tu veux faire quoi exactement là-haut ?
- Et bin ouvrir les cartons et sortir les vis et taper sur les vis, euh non sur les clous, euh non visser les vis avec le tournevis, et pis mettre le bois et pis tout ça pour mon lit.
- Ah ?
- Voui. (Une minute de réflexion). Bon, maman, je vais construire mon lit alors.

Une minute plus tard, à la cantonade :
- Maman ! je peux faire des trous dans le carton avec le tournevis, et toi tu construis le lit ?

L'éducation, c'est savoir partager les tâches, des fois. Mon fils est un grand pédagogue.

mardi 9 février 2010

Temps plus vieux à partir de demain

Vous avez remarqué ce léger frémissement de l'air ? la transparence, la fraîcheur plutôt que le froid intense, les oiseaux qui ont comme un frétillement dans la démarche, une légèreté dans l'aile et un piccolo dans le gosier. On est encore tout empêtré de sommeil le matin quand il fait encore nuit et que le réveil sonne, et pourtant... le printemps approche...
Pour fêter ça, votre cafelière en titre se propose de fermer samedi soir, pour aller au cinéma. Oui je sais, on ne voit pas beaucoup les prémisses des bourgeons au cinéma, mais au moins je sors de chez moi, pour l'instant il ne m'en faut pas beaucoup plus pour être heureuse. Donc samedi, hop, on ferme à 18h30, qu'on se le dise. D'ici là, jeudi matin, il y aura la réunion mensuelle du groupe "bambins" de La Leche League.
Le temps file... tout hérissé de moments volés au quotidien, il file à toute allure. Et dans le tourbillon, je m'étonne que le quotidien du Café Clochette change aussi peu. Les plats se succèdent, les meubles bougent pour faire de la place aux bruncheurs du dimanche, les factures s'empilent, mais dans ce mouvement perpétuel, il y a la permanence de ce qui existe pour de bon. Il y a un an, je n'étais pas sûre de pouvoir garder cet endroit et aujourd'hui c'est comme un point d'appui pour aller de l'avant. Voilà qui est épatant. Ca me touche d'autant plus de voir que ce lieu prend l'allure d'un point de référence pour d'autres que moi : ceux qui se retrouvent ici pour discuter, les familles qui s'installent à la même table et commandent toujours la même chose parce que ça leur plaît comme ça, les petits qui foncent vers le même canard en bois à chaque fois. Quand on est parent, des moments d'éternité comme ça, on les chérit d'autant plus qu'ils filent vite.
Pourvu qu'ça dure !

lundi 8 février 2010

Le moulin hanté, 2

« Il est venu me dire où il est caché », pensa mon beau-frère, et il décida qu’il ne dépenserait pas tout pour lui, mais qu’il en consacrerait un petit pourcentage à faire le bien autour de lui.
L’apparition s’avança vers la porte ; mon beau-frère mit son pantalon et le suivit. Le fantôme descendit l’escalier jusqu’à la cuisine, flotta jusqu’à la cheminée, soupira et disparut. Le lendemain matin, Joe fit venir des maçons et leur fit démonter l’âtre et le conduit de cheminée, un sac de pommes de terre à la main, prêt à recueillir l’or. Ils démolirent la moitié du mur et n’y trouvèrent pas même un vieux sou. Mon beau-frère ne savait pas quoi en penser.
Le lendemain soir, le vieil homme réapparut et le mena de nouveau jusqu’à la cuisine. Cette fois, cependant, plutôt que de se diriger vers la cheminée, il resta au milieu de la pièce et soupira derechef.
« Oh, je vois ce qu’il veut dire, cette fois, se dit mon beau-frère. Il est sous le plancher. Pourquoi ce vieil imbécile est-il allé se planter devant le feu pour me faire croire qu’il était dans la cheminée ? »
Ils passèrent la journée suivante à retirer le plancher, mais la seule chose qu’ils trouvèrent fut une fourchette à trois dents, dont le manche était cassé.
La troisième nuit, le fantôme apparut, nullement décontenancé, et pour la troisième fois il se rendit dans la cuisine. Une fois arrivé, il leva les yeux vers le plafond et se volatilisa.
« Mouais ! on dirait qu’il n’a pas pris pour deux sous de jugeote, là où il est allé, marmonna Joe en repartant au trot vers son lit. Il aurait pu commencer par là. »
Pourtant, cette fois, il ne semblait guère y avoir de doute quant à la localisation du trésor et juste après le petit déjeuner ils se mirent à démonter le plafond. Ils enlevèrent toutes les planches une par une, et toutes les lattes du plancher au-dessus. Ils trouvèrent à peu près autant de trésors qu’on s’attend à en trouver dans un pot au lait vide. La quatrième nuit, quand le fantôme apparut selon son habitude, mon beau-frère était tellement énervé qu’il lui lança ses bottes à la figure ; les bottes le traversèrent et cassèrent un miroir.

Jerome K. Jerome (1859-1927)
« The Haunted Mill, or the Ruined Home » dans Told After Supper (1891)
© Pascale Renaud-Grosbras pour la traduction

dimanche 7 février 2010

Ravissements

Non mais qu'est-ce que vous croyez ? Que j'avais épuisé toutes les beautés de mon magazine favori ? mais non voyons. On est loin d'en avoir seulement effleuré la surface. Ce qui m'encourage à vous entretenir derechef de mes ravissements.
Dans un article consacré à Corinne Burtin et sobrement intitulé "la perfection au féminin", on me présente la femme d'un chef avec qui elle tient un restaurant nommé l'Amaryllis, qui a une étoile, à Sennecey-le-Grand. Le chapeau de l'article nous indique l'orientation de cette rubrique (qui m'évoque comme des vieux souvenirs, tiens) : "au piano ou en salle, dans l'encadrement hôtelier ou dans la sommellerie, elles font bouger les lignes d'un secteur qui s'éloigne à grand pas des stéréotypes machistes". A grands pas, à grands pas... oui peut-être, à condition sans doute qu'elles ne fassent trop bouger les lignes de sauce savamment élaborées par les chefs en cuisine en les amenant sur les tables. (Ca ce n'est pas un stéréotype, c'est un cliché appuyé sur une réalité statistique, et paf). Bon, il y a un rien de mauvaise fois dans ma remarque. Un soupçon, un grain. Je vous l'accorde bien volontiers.
D'autant qu'un peu plus loin, c'est un chef femme qui m'est présentée et qui, en plus, officie à Saint-Malo, avec un mariage de cuisine japonaise et française qui me semble tout à fait séduisant (Tanpopo, place de la Poissonnerie). A Rennes même, on me signale (mais j'avais vu, merci) l'ouverture du Cours des Lices par les Faby, anciens propriétaires du Four à ban qui a dû fermer il y a peu. Si le Café Clochette n'était pas ouvert le samedi, j'irais volontiers y faire un tour pour l'En-cas du samedi, tiens : "des huîtres, un salé aux lentilles, de la charcuterie de qualité..." et le soir, une carte gastronomique avec, "ces derniers temps, un Lièvre à la royale, des ris de veau ou des ravioles de queue de boeuf", plats qui sont déjà à emporter. Ahlala.
Les deux chefs du Hameau Albert 1er à Chamonix, en réponse à une question sur le plat qu'ils auraient aimé inventer, s'exclament de concert : "le lièvre à la royale. On y revient toujours. C'est un plat historique qu'on mange rarement dans l'année. Il demande beaucoup de travail. Nous l'avons à la carte tous les hivers. On le réalise de manière classique en deux services, en compotée et en ballotine." Il y a comme un pattern, là, non ? il va falloir que je me renseigne. Mais comme il ne faut pas copier sur ses petits camarades (soit dit avec tout le respect dû à ces messieurs, bien sûr), je pense que je me pencherai plutôt sur le poulet à la ducale, ou quelque chose comme ça.
Ou sur le hot-dog, tiens. Il paraît qu'il existe un nouveau concept (forcément destiné à devenir tendance) qui met tout Manhattan dans un carton, avec un assortiment de 48 saucisses 100% boeuf, 48 buns briochés et 50 barquettes ergonomiques. Ca me chiffonne, cet écart de chiffres : où passent donc les deux barquettes surnuméraires ? Enfin comme il s'agit d'un "produit chaud, facile à préparer, sans perte", ne barguignons pas. Le street-fooding, décidément, a le vent en poupe, avec un assortiment d'offres sur le pouce proprement ébouriffant. Les cupcakes, par exemple, si ça n'est pas furieusement tendance, ça, je ne sais pas ce que c'est, consommation nomade ou pas consommation nomade.
Pour tout vous avouer, ce tour de France de la gastronomie dans toutes ces déclinaisons m'a donné faim. C'est quoi le plus raisonnable, une expédition au bout de la rue pour un Lièvre à emporter ou une petite salade de lentilles vertes à la saucisse fumée, aux noix et au parmesan devant la fossette de Josh ? Dilemme, terrible dilemme. N'est-il pas ?

samedi 6 février 2010

L'art de la chute

On m'adresse ce jour un nouveau Cerfa, encore inconnu de mes services. Il s'appelle 11895*09 et il est d'une teinte de papier malade, vaguement mauve comme s'il avait passé trop de temps sur un comptoir de l'imprimerie. Il m'est envoyé par la Direction générale des finances publiques, ce qui ne laisse pas de m'impressionner et de me faire prendre conscience de la petite part que je prends à la gestion des finances de notre beau pays. Conscience qui part en mille éclats lorsque je prends connaissance du corps du texte, texte intitulé soit dit en passant "Taxe sur la valeur ajoutée bénéfices non commerciaux n° 2037 K (2010)", où l'on m'indique mon numéro de Siret, un numéro de dossier, une clé et un mystérieux code IFU (Institut des fouilles utiles ? Indice familial ultime ?), suivis d'un laïus en toutes petites lettres qui me rappelle que je suis au régime spécial BNC, ce qu'est le régime spécial BNC, à quels taux s'appliquent quelles définitions et différentes choses très intéressantes. On me rappelle également mes obligations déclaratives et comptables. En fait, si on n'est pas très attentif, on passe facilement à côté de l'information centrale de la missive, qui tient en une phrase : "Vous êtes en situation de bénéficier au titre des revenus 2009 du régime spécial BNC, vous n'aurez donc pas, cette année, à souscrire de déclaration de revenus professionnels." Ah oui oké. Mon taux d'adrénaline qui a pour habitude de bondir à la réception d'un Cerfa (bien que ça ne soit pas arrivé depuis longtemps, je crains que le toutou de Pavlov ne soit passé par là) n'a plus qu'à se rétablir tranquillement pendant que le sens de cette phrase fait son chemin. En fait, on m'envoie un Cerfa pour me dire que je n'ai rien à faire. Croyez-m'en, j'en suis toute ébaubie.
Presque autant que par la réception de mon magazine favori, celui dédié aux CHR. Captivée par autre chose sur le moment, je l'avais mis de côté sans trop m'y intéresser et je suis retombée dessus tout à l'heure. Il paraît, accrochez-vous, que Panzani révolutionne le snacking, avec une fourchette très pratique pour manger directement dans la box. J'apprends également que Joël Robuchon est toujours en ébullition (sur sa fameuse plaque à induction, sans doute) et que Ferran Adria clame à qui veut l'entendre que "El Bulli, c'est fini !" Ah chouette, ça ouvre un créneau pour les collègues, ça...
Quelques pages plus loin, un cuisinier inquiet interpelle un chef sur son blog : "j'aimerais cuisiner du poulpe, faut-il le faire bouillir congelé ou doit-on le décongeler avant? D'ailleurs, faut-il le faire bouillir ? Si oui combien de temps ? Peut-on le poêler directement ? Comment savoir s'il est prêt à être poêlé ? Faut-il le couper avant ou après l'avoir fait bouillir ? Quels sont les temps de cuisson et la technique pour le poêler (faut-il du lait, de la farine, du citron...) ?" J'imagine le blogger prendre une grande respiration avant de commencer sa réponse par ces mots : "vous posez pas mal de questions..."
Dans un article d'anthologie, on signale à mon attention que les signataires de l'accord social se rebiffent et j'ai cru un instant que c'était parce que sur la photo, leurs verres étaient vides. En fait, non, il s'agit plutôt d'une histoire de... euh... Je cite : "à la suite de la contestation par l'Umih de la rédaction d'une clause dans le préambule de l'accord, la sous-commission des négociations collectives a fini par renvoyer l'examen de ce texte au 4 février. Pour l'organisation patronale, le fait d'avoir rédigé dans son préambule que ce nouvel avenant n°6 remplace l'avenant n°2 relatif à la durée de travail conduit à annuler toutes les dispositions relatives contenues dans cet avenant n°2 - et notamment la majoration à 10% des heures supplémentaires, là où la loi prévoit un taux de 25%". Ah oui, je comprends mieux. En face, les syndicats sont outrés, et pour cause, et affirment leur attachement à un accord progressiste, ils écrivent même au Premier ministre pour ce faire. A mon avis, ils devraient en profiter pour régler aussi la question des verres vides.
Tiens, je ne sais pas pourquoi, ça m'évoque vaguement le petit encadré qui se trouve au pied de mon Cerfa chéri, là, ce cher 11895*09 :
"La charte du contribuable : des relations entre l'administration fiscale et le contribuable basées sur les principes de simplicité, de respect et d'équité."
Ca s'appelle l'art de la chute. Tout simplement.

vendredi 5 février 2010

Le moulin hanté

Vous connaissez tous mon beau-frère M. Parkins, commença M. Coombes en retirant sa longue pipe d’argile de sa bouche pour la mettre derrière son oreille – nous ne connaissions pas son beau-frère, mais nous affirmâmes que oui, pour gagner du temps. Vous savez donc qu’il a un jour loué un vieux moulin dans le Surrey et qu’il est allé y vivre.
Il faut que vous sachiez qu’il y a bien des années de ça, ce moulin avait été la demeure d’un vieux grippe-sou qui y était mort, laissant toute sa fortune – si l’on en croit la rumeur – enterrée quelque part là-dedans. Bien évidemment, tous ceux qui étaient venus habiter le moulin après lui avaient essayé de trouver le trésor, mais personne n’y était parvenu et les petits futés du cru disaient que personne ne le trouverait jamais, à moins que le fantôme du vieil avare ne se prenne un jour de sympathie pour un locataire et ne lui révèle le secret de la cachette.
Mon beau-frère n’attachait pas grande importance à cette histoire ; il considérait que ce n’était qu’un conte de bonne femme. Contrairement à ses prédécesseurs, il ne fit aucune tentative pour trouver le trésor caché. « À moins que les affaires n'aient été très différentes à l’époque, disait-il, je vois mal comment un meunier aurait pu arriver à économiser quoi que ce soit, aussi avare ait-il pu être ; en tout cas pas assez pour ça vaille la peine de chercher. » Pourtant, il ne parvint jamais à oublier tout à fait le trésor.
Un soir, il est allé se coucher. Ça n’a rien d’extraordinaire, je sais bien. Il était fréquent qu’il aille se coucher le soir. Ce qui est remarquable, par contre, c’est qu’au moment précis où la cloche de l’église du village sonnait le dernier coup de minuit, mon beau-frère se réveilla en sursaut et fut incapable de se rendormir.
Joe (son prénom était Joe) s’assit dans son lit et regarda autour de lui. Au pied du lit, quelque chose se tenait, immobile, enveloppé d’ombre. Cela bougea et entra dans une flaque de lune, et alors mon beau-frère vit que c’était un petit homme, très vieux et tout desséché, qui portait des hauts-de-chausses et une queue de cheval. En un instant, l’histoire du trésor caché et du vieil avare lui traversa l’esprit.

Jerome K. Jerome (1859-1927)
« The Haunted Mill, or the Ruined Home » dans Told After Supper (1891)
© Pascale Renaud-Grosbras pour la traduction

jeudi 4 février 2010

La blague

Une heure après une acquisition charcutière durement négociée :
- Maman, ma chaussure elle renifle le saucisson !
- ...? ...?
- Pffffhihihi, c'est une blague !

mercredi 3 février 2010

Tarte portugaise aux amandes

La semaine dernière, un monsieur en a réclamé deux parts... ça me suffit pour savoir que c'est une bonne recette et je vous la livre illico.
Cette recette est tirée du livre de Hilaire Walden, La cuisine portugaise, que voici :



Tarte portugaise aux amandes

Travaillez 100g de beurre pommade avec 100g de sucre, ajoutez un oeuf puis 100g de farine et un peu de levure chimique. Tassez dans un moule à manqué recouvert de papier sulfurisé, mettez à 190°C pendant 20 à 25 mn.
Pendant ce temps, mettez à fondre dans une casserole 150g de beurre avec 125g de sucre, puis ajoutez 125g d'amandes en poudre et 3 cuillères à soupe de lait. Laissez prendre couleur légèrement en mélangeant de temps en temps. Quand la pâte est cuite, versez cet appareil dessus puis réenfournez pour 10 bonnes minutes, le temps que ça dore joliment.

mardi 2 février 2010

De heurtoirs, flirts et pentes

Bien bien bien. Il semblerait que d'aucuns s'inquiètent de mon absence. Alphonse, qui est un fantôme selon mon coeur même si je fais mine de m'irriter de sa présence (mais ne le lui dites pas, un fantôme fat c'est comme une maison avec un heurtoir en cuivre : ça fait encore plus de bruit quand on admet qu'on trouve ça beau) (enfin je ne crois pas aux fantômes de toute façon ; comme dirait l'autre, j'en ai trop rencontré) (fin de la parenthèse), a semble-t-il pris le relais l'autre jour avec brio, à tel point qu'il laisse traîner depuis dans toute la maison des petits bouts de papier couverts de paraphes flamboyants sous lesquels on peut lire "A. Morfati, co-auteur". Alphonse, mon cher, ne vous fourvoyez pas, l'édition c'est un milieu sans pitié pour les gens sans substance et je crains que, tout bien pesé, votre ego ne pâtisse d'un long flirt avec lui. Et voilà, encore un alexandrin.
En vérité, je suis épuisée. Je marche assise et à tout petits pas. Il y a des fois où on arrive au bout de sa résistance physique, où les événements, même les plus souriants, s'accumulent un peu trop et qu'on n'arrive plus à suivre. J'attends toutes les nuits la bonne nuit de sommeil qui me fera remonter la pente (ouh la vilaine métaphore pas finie) mais elle tarde à venir, alors en attendant, je tente d'assurer le quotidien, j'écoute MiniLoup à l'affût d'une belle parole, j'échange de jolis messages avec des gens qui se préoccupent gentiment de ma santé et je me creuse le ciboulot à la recherche de quelque chose à vous raconter. Ce qui n'est clairement pas la meilleure méthode, vu que les billets que j'ai préféré vous écrire étaient ceux qui coulaient tout seuls. Le long de la pente remontée par mon sommeil, sûrement...
Mais demain et les jours suivants vont être passionnants, alors je serai sur le pont. Demain soir, mercredi, de 18h à 19h, il y a toujours le cercle de silence devant la mairie. Jeudi matin, au Café Clochette, il y aura un atelier de portage en écharpe animé par Magali de l'association Tribu Koala, tous les renseignements sont sur le blog de l'association, il faut s'inscrire auprès de Magali. Samedi matin, il y a une permanence de l'association Maman Blues animée par Ingrid. Et dimanche, les brunchs reprennent, c'est à partir de 13h et sur réservation (et c'est complet pour ce dimanche, le prochain brunch sera début mars).
A bientôt !
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