J'ai reçu il n'y a que quelques jours une missive des éditions Autrement, que j'aime bien parce qu'elles ont publié des livres que j'aime bien. Ca m'a vaguement surprise d'être la récipiendaire d'une missive de leur part parce que je n'ai jamais été en relation avec ces éditions-là dans mon travail, aussi j'ai simplement mis l'enveloppe non ouverte de côté avec le reste du courrier à trier. Hier matin, j'ai eu l'occasion d'ouvrir ces courriers en souffrance et quelle ne fut pas ma surprise, car ces éditions me tenaient à peu près ce langage : vous êtes traductrice, on est éditeurs, on cherche des bouquins à publier, vous en connaissez sûrement ; travaillons ensemble.
Arioukidinemi ?
Pendant des années, quand j'étais traductrice, j'ai passé une proportion non négligeable de mon temps à chercher des éditeurs qui soient intéressés par mes propositions de traduction, et voilà que je ne le suis plus et qu'on vient me chercher ?
Ca me rappelle le moment, juste après l'ouverture du Café Clochette, ça devait être début décembre, où j'avais eu la surprise de recevoir l'appel d'un éditeur en personne. Je lui avais envoyé un projet de retraduction de Far from the Madding Crowd de Thomas Hardy, un beau projet tout bien ficelé avec des propositions de notes de bas de page, d'introduction, enfin tout quoi. Et un joli bout de premier chapitre pour montrer comment on pouvait reprendre le texte sans tout le fouillis de la première traduction. Et puis j'avais oublié que j'avais envoyé ça, toute occupée que j'étais à l'obtention d'un prêt pour le Café Clochette et aux travaux en cours. Alors quand cet éditeur m'a appelée (ça n'arrive jamais jamais ça ! c'est comme le mythe du manuscrit arrivé par la poste !) pour me dire qu'il était très intéressé par le projet et prêt à se lancer dans l'aventure, je me suis trouvée toute benête à ne plus savoir où j'en étais, partagée entre le jeune Café tout juste ouvert et ce projet que je couve depuis des années et auquel je tiens vraiment beaucoup. Et puis la jolie bulle a éclaté quand l'éditeur m'a fait comprendre qu'il était prêt à me publier, oui, mais pas à me payer... Vous comprenez, qu'il m'a dit, je suis une toute petite maison, je ne peux pas me permettre de payer mes traducteurs à la juste valeur de leur travail... mais il y a des grands traducteurs qui font ça pour l'amour de l'art... Enfin 700 euros pour un an de travail, sans compter l'appareil critique, pour environ 800 feuillets, ça m'a quand même semblé un peu rude. La mesure de ma passion pour ce travail, c'est que j'ai quand même réfléchi pendant plusieurs jours avant de finir par refuser, la mort dans l'âme.
Hier soir, j'ai reçu un mail de l'ATLF, l'Association des traducteurs littéraires de France, dont je suis adhérente. Je vous le copie-colle :
Communiqué du Conseil d'Administration de l'ATLF - Proposition des éditions Autrement.
Les éditions Autrement semblent avoir utilisé le fichier de l'ATLF pour diffuser une lettre datée du 24 février, dans laquelle elles invivent en substance les traducteurs à "faire part de leurs découvertes", c'est-à-dire à leur proposer des livres étrangers. Nous nous interrogeons bien entendu sur le mode de rémunération prévu pour la fourniture de ce type d'informations, dont la recherche constitue en principe l'un des travaux assumés par l'éditeur. L'expérience nous permet hélas de craindre qu'il ne s'agisse d'une proposition d'activité bénévole.
Mais là n'est pas l'essentiel : alors qu'ils soulignent dans leur lettre que les livres récemment publiés par leur maison sont, je cite, "des coups de cœur. Ceux des traducteurs et les nôtres", Henri Dougier et Emmanuel Dauzin joignent à leur missive une plaquette de quatre pages en quadrichromie, reproduisant seize couvertures de livres, le titre et le nom de l'auteur, le numéro d'ISBN, le prix (!) et la date de parution, bien entendu l'adresse de la maison d'éditions, ainsi qu'une liste de titres du fonds. Sur ces quatre pages, on ne trouve pas UN SEUL nom de traducteur !
Le Conseil d'Administration de l'ATLF a fait parvenir une lettre de protestation aux éditions Autrement. Nous transmettons aussi le dossier au ministère de la Culture, tant cet exemple anecdotique nous semble illustrer la dérive de certaines pratiques éditoriales. Nous vous invitons à exprimer vous aussi votre sentiment (avec la courtoisie qui s'impose dans notre profession), et bien entendu, dans ces conditions, à donner à cette offre les suites qui vous sembleront opportunes...
La suite qui me semble, à moi, opportune, c'est de retourner à mes fourneaux. Un de ces jours, je reviendrai à la traduction. Mais pour en vivre comme on fait d'une profession, pas en étant obligée de faire des pieds et des mains au quotidien pour subventionner ce qui ne ressemblerait qu'à une passion pas très raisonnable...
Pendant des années, quand j'étais traductrice, j'ai passé une proportion non négligeable de mon temps à chercher des éditeurs qui soient intéressés par mes propositions de traduction, et voilà que je ne le suis plus et qu'on vient me chercher ?
Ca me rappelle le moment, juste après l'ouverture du Café Clochette, ça devait être début décembre, où j'avais eu la surprise de recevoir l'appel d'un éditeur en personne. Je lui avais envoyé un projet de retraduction de Far from the Madding Crowd de Thomas Hardy, un beau projet tout bien ficelé avec des propositions de notes de bas de page, d'introduction, enfin tout quoi. Et un joli bout de premier chapitre pour montrer comment on pouvait reprendre le texte sans tout le fouillis de la première traduction. Et puis j'avais oublié que j'avais envoyé ça, toute occupée que j'étais à l'obtention d'un prêt pour le Café Clochette et aux travaux en cours. Alors quand cet éditeur m'a appelée (ça n'arrive jamais jamais ça ! c'est comme le mythe du manuscrit arrivé par la poste !) pour me dire qu'il était très intéressé par le projet et prêt à se lancer dans l'aventure, je me suis trouvée toute benête à ne plus savoir où j'en étais, partagée entre le jeune Café tout juste ouvert et ce projet que je couve depuis des années et auquel je tiens vraiment beaucoup. Et puis la jolie bulle a éclaté quand l'éditeur m'a fait comprendre qu'il était prêt à me publier, oui, mais pas à me payer... Vous comprenez, qu'il m'a dit, je suis une toute petite maison, je ne peux pas me permettre de payer mes traducteurs à la juste valeur de leur travail... mais il y a des grands traducteurs qui font ça pour l'amour de l'art... Enfin 700 euros pour un an de travail, sans compter l'appareil critique, pour environ 800 feuillets, ça m'a quand même semblé un peu rude. La mesure de ma passion pour ce travail, c'est que j'ai quand même réfléchi pendant plusieurs jours avant de finir par refuser, la mort dans l'âme.
Hier soir, j'ai reçu un mail de l'ATLF, l'Association des traducteurs littéraires de France, dont je suis adhérente. Je vous le copie-colle :
Communiqué du Conseil d'Administration de l'ATLF - Proposition des éditions Autrement.
Les éditions Autrement semblent avoir utilisé le fichier de l'ATLF pour diffuser une lettre datée du 24 février, dans laquelle elles invivent en substance les traducteurs à "faire part de leurs découvertes", c'est-à-dire à leur proposer des livres étrangers. Nous nous interrogeons bien entendu sur le mode de rémunération prévu pour la fourniture de ce type d'informations, dont la recherche constitue en principe l'un des travaux assumés par l'éditeur. L'expérience nous permet hélas de craindre qu'il ne s'agisse d'une proposition d'activité bénévole.
Mais là n'est pas l'essentiel : alors qu'ils soulignent dans leur lettre que les livres récemment publiés par leur maison sont, je cite, "des coups de cœur. Ceux des traducteurs et les nôtres", Henri Dougier et Emmanuel Dauzin joignent à leur missive une plaquette de quatre pages en quadrichromie, reproduisant seize couvertures de livres, le titre et le nom de l'auteur, le numéro d'ISBN, le prix (!) et la date de parution, bien entendu l'adresse de la maison d'éditions, ainsi qu'une liste de titres du fonds. Sur ces quatre pages, on ne trouve pas UN SEUL nom de traducteur !
Le Conseil d'Administration de l'ATLF a fait parvenir une lettre de protestation aux éditions Autrement. Nous transmettons aussi le dossier au ministère de la Culture, tant cet exemple anecdotique nous semble illustrer la dérive de certaines pratiques éditoriales. Nous vous invitons à exprimer vous aussi votre sentiment (avec la courtoisie qui s'impose dans notre profession), et bien entendu, dans ces conditions, à donner à cette offre les suites qui vous sembleront opportunes...
La suite qui me semble, à moi, opportune, c'est de retourner à mes fourneaux. Un de ces jours, je reviendrai à la traduction. Mais pour en vivre comme on fait d'une profession, pas en étant obligée de faire des pieds et des mains au quotidien pour subventionner ce qui ne ressemblerait qu'à une passion pas très raisonnable...
7 commentaires:
longs soupirs....
fornut : abréviation de l'expression "for nuts and glory", soit en français : "pour (la gloire) des cacahouètes".
(j'avoue, j'ai rechargé la page 3 fois pour avoir un cape-chat qui m'inspire)
bisous.
Ah je suis pas la seule à faire ça alors ? ;-)
Eh ben, j'aime bien, Pascale, tu devrais leur envoyer la traduction de cb d'ailleurs... vraiment !
Gulne : n.f. nom donné à l'inidentifiable fruit (car il semble qu'il s'agisse du même en plusieurs couleurs) composant une salade dite de fruitS servie dans certaines cantines scolaires.
Ouille, la chute est rude... Pfff, c'est vraiment dommage car cette passion tient une très grande part de ta vie, on dirait... Il faudrait qu'on en discute un jour car la traduction littéraire est une chose que j'ai adorée, moi aussi, et dans laquelle, d'après mes professeurs, j'avais quelques qualités... Mais il ne s'agissait pas de la langue de Shakespeare !
Bises Pascale, et à bientôt pour de jolis moments au Café Clochette.
c'est amusant, aujourd'hui je parle d'un bouquin traduit du japonais, je cite le nom du traducteur...un vieux réflexe de mes années en LEA !
PS: j'adore ton titre mais j'ai dû le lire (à voix haute) pour le comprendre ;-)
Je proteste, je m'insurge !
1 ) Le manuscrit envoyé par la poste n'a rien d'un mythe, beaucoup d'auteurs ont débuté ainsi : Emmanuelle Urien, Georges Flipo, Lorraine Fouchet...
2 ) Il faut écrire "tout occupée" et non "toute occupée", tout étant employé comme adverbe.
Sinon, je comprends votre refus, c'est hallucinant, il faudrait presque travailler bénévolement...
Schlabaya : c'était un peu ironique bien sûr :-)
Vous avez raison pour le "tout"... Bonne continuation sur votre blog.
Bonjour,
je voudrais juste témoigner car je suis justement en conflit avec eux en ce moment même, et je recherchais des alliés sur Internet quand je suis tombée sur votre billet...
Pour ma part, c'est moi qui les ai contactés sans invitation de leur part car je cherchais à faire publier ma traduction en cours d'un ouvrage de mon auteur préféré et qui me tient beaucoup à cœur. Après avoir esquivé mes questions et vaguement répondu à ma demande de faire figurer mon nom en première de couverture, ils m'ont fait comprendre que leur tradition consistait à faire figurer le nom du traducteur en quatrième de couverture, ce qui, d'après eux, revient AU MÊME (là, il faut m'expliquer) !
J'avais presque accepté l'infamie, quand ces messieurs me firent parvenir un contrat signé de leur main et précisant qu'ils s'engageaient à faire figurer le non du traducteur en... première de couverture ! Déroutée, j'ai demandé confirmation et on m'a répondu de manière très hautaine qu'il s'agissait BIEN ENTENDU d'une erreur et que j'étais priée, je cite, de "ne pas tenir compte de ce qui était mentionné dans le contrat", car de toute façon il leur était IMPOSSIBLE de changer leur maquette, et qu'ils ne le feraient certainement pas pour moi, tout ça sur un ton du genre, mais pour qui vous prenez-vous cher madame ? Vous n'êtes qu'une traductrice, vous vous rendez compte si on vous mettait en première de couverture on pourrait vous confondre avec l'auteur, ne vous prenez pas pour une auteur, on peut très bien se passer de vous !!
Voilà où on en est, non seulement il faut travailler pour des cacahouètes, mais en plus il faut totalement s'effacer lorsqu'on présente un projet très personnel sur un plateau à ces messieurs... et se sentir honteuse de vouloir se mettre à ce point en avant (et le nom de l'éditeur, il sera pas sur la première couverture, bien visible et en rouge, peut-être ???? !!!)
C'était mon petit coup de gueule, si vous avez des conseils ils sont les bienvenus !
Merci de dénoncer ces pratiques d'invitation au travail bénévole, j'ai le même sentiment qu'on nous demande à mot couvert de faire de la traduction pour l'amour de l'art et pendant nos loisirs, ben voyons!
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