jeudi 31 décembre 2009

Le navire fantôme, 7

Le lendemain matin on a pu constater la force de la tempête et il y avait assez de dégâts au village sans parler de ma porcherie pour nous occuper un moment. Il est vrai que les enfants n’ont pas eu à casser de branches pour le feu cet automne-là parce que le vent en avait éparpillé dans les bois plus qu’ils ne pouvaient en porter. La plupart de nos fantômes étaient éparpillés aussi, mais cette fois bien peu d’entre eux revinrent parce que tous les jeunes étaient partis avec le capitaine, et pas seulement des fantômes, vu que le pauvre idiot avait disparu aussi. On s’est dit qu’il s’était embarqué clandestinement ou qu’il s’était engagé comme mousse parce qu’il n’y comprenait rien.
Entre les lamentations des jeunes filles fantômes et le ronchonnement des familles qui avaient perdu un ancêtre, le village a été bouleversé pour un moment, et le plus drôle c’est que ceux qui s’étaient plaints le plus fort du comportement des jeunots étaient ceux qui hurlaient le plus maintenant qu’ils étaient partis. Je n’avais aucune compassion pour le boucher et le cordonnier qui couraient partout dans le village en disant combien leurs jeunes leur manquaient, mais ça me faisait peine d’entendre les pauvres filles affligées appeler leurs amoureux par leur nom sur la place du village à la nuit tombée. Ca me semblait injuste qu’elles aient perdu leur homme une deuxième fois après avoir déjà renoncé à la vie pour les rejoindre, comme c’est probable. Mais c’est un fait que même un fantôme ne peut pas passer sa vie à pleurer et après quelques mois on s’est résignés à penser que ceux qui étaient partis sur le navire ne reviendraient jamais, et on n’en a plus parlé.
Et puis un jour, je pense que ça devait être deux ou trois ans plus tard, quand on avait quasiment oublié toute cette histoire, qui voilà-t-il pas qui est arrivé par la route de Portsmouth sinon le pauvre dingue qui était parti sur le navire sans attendre d’être mort pour devenir un fantôme. Je suis sûr que vous n’avez jamais vu un garçon comme celui-là de toute votre vie. Il avait un grand sabre rouillé pendu par une ficelle à la ceinture et il était tatoué de partout dans des couleurs magnifiques, ce qui fait que même son visage ressemblait à un abécédaire brodé par une écolière. Il portait à la main un mouchoir plein de coquillages exotiques et de vieilles pièces de monnaie très curieuses et il est allé jusqu’au puits devant la maison de sa mère et s’est tiré de l’eau comme si c’était tout naturel.
Le pire c’est qu’il était revenu aussi idiot qu’il était parti, et on a eu beau essayer, on n’a rien pu tirer de lui qui soit un tant soit peu raisonnable. Il racontait des tas de bêtises à propos de types qu’on faisait passer sous la quille et marcher sur la planche et de meurtres – des choses dont un marin convenable ne devrait jamais avoir entendu parler, ce qui m’a fait penser que malgré toutes ses belles manières le capitaine avait été plus un pirate qu’un gentlemen amoureux de la mer. Mais essayer de comprendre ce que disait ce garçon c’était comme essayer de cueillir des cerises dans un pommier. Il y avait une histoire complètement loufoque à laquelle il revenait sans arrêt, et à l’entendre vous auriez pu croire que c’était la seule chose qui lui soit jamais arrivé dans la vie.
– On était à l’ancre, il disait, près d’une île qui s’appelait le Panier de Fleurs, et les marins avaient attrapé plein de perroquets et ils leur apprenaient à jurer. Il y en avait partout, partout sur le pont, et leur langage était atroce. Alors on a regardé par-dessus bord et on a vu les mâts d’un galion espagnol devant la baie. Ils étaient juste devant la baie, alors on a jeté les perroquet par-dessus bord et on est allés à la bataille. Et tous les perroquets se sont noyés dans la mer et leur langage était atroce.
Voilà le genre de garçon qu’il était, il ne pouvait que radoter sur les perroquets alors qu’on lui demandait ce qui s’était passé dans la bataille. Mais on n’a jamais eu le temps de lui donner une bonne leçon, parce que deux jours après il s’est enfui à nouveau et on ne l’a plus jamais revu.
Voilà mon histoire, et je vous assure que des choses comme ça arrivent à Fairfield tout le temps. Le navire n’est jamais revenu, mais les gens vieillissent et ils commencent à dire qu’une de ces nuits de tempête il s’en va revenir par-dessus les haies avec tous les fantômes à son bord. Enfin quand il reviendra il sera le bienvenu. Une des jeunes fantômes ne s’est jamais lassée d’attendre son amoureux. Vous pouvez la voir toutes les nuits sur la place, les yeux plissés pour apercevoir les lampes des mâts parmi les étoiles. Vous diriez que c’est une jeune fille fidèle, et je crois que vous auriez raison.
Le champ du patron n’a pas souffert pour deux sous, mais il y en a qui disent que depuis, les navets qu’on y a fait pousser ont un goût de rhum.


Fin

Richard Middleton, The Ghost Ship, 1912, traduction Pascale Renaud-Grosbras

mercredi 30 décembre 2009

Dialogues d'un promeneur solitaire


- Tu dis ? quelqu'un sur une table ? naaaaan !
- Il y a un genre de proverbe, en anglais, qui dit que "ceux qui savent faire le font ; ceux qui ne savent pas faire l'enseignent, et ceux qui ne savent pas enseigner écrivent". Ninette, ma grande, tu n'as plus qu'à te choisir une carrière.

mardi 29 décembre 2009

Le navire fantôme, 6

Après ça, le capitaine nous a montré certaines des curiosités qu’il avait ramenées des quatre coins du monde et on était très impressionnés, même si après je n’ai pas réussi à me souvenir ce que c’était. Et puis je me suis retrouvé en train de marcher entre les navets avec le pasteur et je lui racontais les merveilles du fond de la mer que j’avais vues par la baie du navire. Il s’est tourné vers moi, sévère.
– Si j’étais toi, John Simmons, il a dit, j’irais me coucher immédiatement.
Il a une façon de dire les choses auxquelles un homme ordinaire n’aurait pas pensé, le pasteur, alors j’ai fait ce qu’il avait dit.
Et puis le lendemain ça s’est mis à souffler, à souffler de plus en plus fort, et vers huit heures du soir j’ai entendu du bruit et j’ai regardé dans le jardin. J’imagine que vous n’allez pas me croire, c’est vrai que ça me semble une histoire à dormir debout à moi aussi, mais voilà pas que le vent avait soulevé le toit de ma porcherie et l’avait déposé dans le jardin de la veuve pour la deuxième fois. Je me suis dit que je n’allais pas attendre de voir ce qu’elle avait à me dire à ce sujet, alors j’ai traversé la place du village et je suis allé au « Renard et aux Raisins ». Le vent était si fort qu’il me faisait danser sur la pointe des pieds, comme une jeune fille à la kermesse. Quand j’ai fini par atteindre l’auberge le patron a dû m’aider à fermer la porte : on aurait dit qu’une douzaine de chèvres poussaient derrière pour échapper à la tempête.
– C’est une grosse tempête, il a dit en tirant la bière. Je me suis laissé dire qu’une cheminée est tombée à Dickory End.
– C’est curieux comme ces marins savent le temps qu’il va faire, j’ai répondu. Quand le capitaine a dit qu’il partait ce soir, j’ai pensé qu’il allait falloir une bonne dose de vent pour repousser le navire jusqu’à la mer, mais là c’est plus qu’une bonne dose.
– Ca oui, a dit le patron, c’est sûr qu’il s’en va ce soir. Et tu vois, même s’il a été généreux pour le loyer, je ne suis pas sûr que ce soit une perte pour le village. Je n’apprécie pas trop les délicats qui font venir leur boisson de Londres plutôt que de faire vivre le petit commerce local.
– Mais tu n’as pas de rhum de ce genre, j’ai dit pour l’énerver.
Son cou est devenu très rouge au-dessus de son col et j’ai eu peur d’être allé trop loin, mais après un moment il a repris sa respiration avec un grognement.
– John Simmons, il a dit, si tu es venu ici en pleine nuit par ce vent pour raconter des bêtises, tu as perdu ton temps.
Alors évidemment j’ai dû l’amadouer en chantant les louanges de son rhum, et que le Ciel me pardonne d’avoir juré qu’il était meilleur que celui du capitaine. Parce qu’un rhum comme celui-là, aucun mortel n’y avait jamais goûté, sauf le pasteur et moi. Mais j’ai réussi à rasséréner le patron et il a fini par m’offrir un verre de son meilleur rhum pour me prouver sa qualité.
– Trouve mieux que ça si tu peux ! il a crié, et on a levé nos verres à nos lèvres, mais on s’est arrêtés à mi-parcours et on s’est regardés complètement interloqués ; parce que le vent qui hurlait dehors comme un chien enragé était devenu aussi mélodieux qu’un chant de la Nativité d’une chorale d’écoliers, la veille de Noël.
– Ca, ça ne peut pas être ma Martha, a chuchoté le patron. Martha, c’était sa grand-tante qui vivait dans les combles.
On est allés à la porte et le vent l’a ouverte si violemment que la poignée s’est fichue dans le plâtre du mur. Mais on ne s’en est pas préoccupés sur le moment, parce qu’au-dessus de nos têtes, toutes voiles dehors sous les étoiles, il y avait le navire qui avait passé l’été dans le champ de navets du patron. Tous les hublots et la grande fenêtre étaient illuminés et on entendait des chants et du violon sur le pont.
– Il est parti ! le patron a hurlé par-dessus la tempête. Et il a emmené la moitié du village !
Tout ce que j’ai pu faire c’est de hocher la tête, je n’avais pas les poumons assez forts pour m’égosiller.


A suivre...

(Richard Middleton, The Ghost Ship, 1912, traduction Pascale Renaud-Grosbras)

lundi 28 décembre 2009

Truc

Dans le grand branle-bas du rangement de la maison auquel je m'adonne ces derniers jours, je suis tombée sur un... truc. Pas un os, non. Sur un machin. Un bidule. Un objet à la destination incertaine, de provenance inconnue. Et donc de destin douteux. Qu'est-ce qu'on est supposé faire d'un truc comme ça à votre avis ? ça me travaille depuis deux jours.
Je ne peux même pas vous mettre une photo, mon appareil ayant apparemment décidé qu'il ne lui chalait guère de participer à l'élucidation du mystère. Il y a une partie qui dépasse sur le haut - encore qu'il soit douteux qu'il y ait un haut ou un bas. Enfin une sorte de manche, avec une partie un peu renflée à la base (ou est-ce en haut ? bref). Au bout du manche, côté bidule, une espèce de rondelle en bois retient un petit machin amovible en bois également et qui n'a aucune fonction bien définie. De l'autre côté de la rondelle, un renflement en plastique précède une sorte de poche en tissu qui ne contient rien mais s'arrondit autour d'un axe en bois qui ressemble à une vis de casse-noix, mais en plus gros, et qui n'a l'air vissée sur rien. Tout autour de la base (ou du chapeau, selon le sens où vous attrapez le trucmuche), il y a des petites encoches dans lesquelles le tissu est coincé avant d'être cousu, par petites pinces successives, sauf à un endroit où un accroc dont je ne sais s'il est volontaire ou non laisse voir l'intérieur. C'est peut-être une cage à oiseau pour un oiseau en papier. Ou un égouttoir à salade miniature. Ou une tentative de création de luminaire bizarre. Ou un garage à petites voitures. Ou un range-CD pour des CD du futur, qui seront sûrement tout petits et ronds. Ou un simple objet de décoration comme on vous en offre quand on ne sait pas quoi vous offrir.
Si vous arrivez à dessiner l'objet d'après la description que je viens d'en faire, je vous l'offre et je joins au cadeau un tout beau gobelet estampillé "Café Clochette" qui vient d'arriver avec 499 de ses compagnons. S'y ébattent deux adorables petits chats qu'on doit au talent de Florette (encore que l'un des deux soit adorablement endormi et qu'il ne s'ébatte donc qu'en rêve, probablement). Ils sont incassables, stables, et juste assez grands pour tenir dans des petites mains. Si c'est pas un chouette cadeau de Noël, ça, je sais pas ce que c'est...
Tiens, en parlant d'un truc dont je ne sais pas ce que c'est, je vous ai parlé du bidule que j'ai trouvé en faisant du rangement ?
Ah oui. Où avais-je la tête. J'ai dû l'égarer dans un carton dans mes rangements. Si vous la trouvez, je veux bien la récupérer contre récompense. Un gobelet, par exemple. Je vous ai parlé des gobelets ?
Ah oui.
Vous savez quoi ? c'est fatigant, les vacances.

dimanche 27 décembre 2009

Saumon mariné

Pour faire du saumon mariné pour une grande occasion (un brunch de Noël, par exemple), il vous faut du saumon. Forcément. Et deux trois autres petites choses toutes simples, vous allez voir.

Saumon mariné

Posez quatre beaux pavés de saumon dans un plat non métallique. Salez et poivrez, saupoudrez d'une cuillère à soupe de sucre blanc. Arrosez généreusement de deux jus de citron, râpez dessus un zeste (enfin commencez par le zeste, c'est plus facile : zester un citron déjà pressé c'est un peu dur). Parsemez d'une demi-botte d'aneth hâché et de baies roses légèrement concassées. Remuez légèrement le plat pour mélanger tout ça, puis mettez à mariner au frais au moins une journée.
Le cas échéant, enlevez la peau des pavés avec un grand couteau tranchant. Ensuite, coupez des tranches aussi fines que possible et mettez sur une grande assiette. Décorez avec l'aneth et les baies roses de la marinade puis arrosez de quelques cuillères de marinade avant de remettre au frais pour une heure ou deux.
Servez bien frais, avec des toasts et du citron.

samedi 26 décembre 2009

Le navire fantôme, 5

Nous sommes descendus jusqu’au navire et en arrivant on a vu le capitaine qui prenait le frais sur le pont. Quant il a vu le pasteur il a enlevé son chapeau très poliment et je peux vous dire que j’étais soulagé de voir qu’il avait du respect pour le clergé. Le pasteur a répondu à son salut et puis il s’est mis à lui parler fermement.
– Monsieur, j’aimerais vous dire un mot.
– Montez à bord, monsieur, montez à bord, a dit le capitaine, et je pouvais dire d’après sa voix qu’il savait pourquoi on était là. Le pasteur et moi on s’est hissés sur le pont à l’aide d’une échelle de corde branlante et le capitaine nous a conduits dans la vaste cabine à l’arrière du navire, celle où il y avait la grande fenêtre. C’était un endroit comme vous n’en avez jamais vu, avec des quantités de vaisselle d’or et d’argent, des sabres avec des fourreaux ornés de pierreries, des chaises de chêne sculpté et des malles immenses dont on aurait dit qu’elle étaient pleines à ras bord de guinées d’or. Le pasteur lui-même avait l’air surpris et il n’a même pas eu l’air très désapprobateur quand le capitaine a pris des chopes d’argent et qu’il y a versé du rhum. J’ai goûté à mon godet et je dois dire que ça a complètement changé mon avis sur la question. Il n’y avait rien de louche à propos de ce rhum et j’ai senti qu’il était ridicule de blâmer les gamins de boire trop de cette boisson-là. J’avais l’impression que ça me remplissait les veines de miel et de feu.
Le pasteur a expliqué tout nettement ce qui se passait au capitaine mais je n’écoutais pas vraiment, j’étais occupé à siroter mon verre et à regarder par la baie les poissons qui nageaient au-dessus des navets du patron. A ce moment-là ça me semblait la chose la plus naturelle du monde, quoique plus tard évidemment, j’aie compris que ça prouvait bien que c’était un navire fantôme.
Enfin j’ai quand même trouvé bizarre sur le moment de voir un marin noyé flotter en l’air, des bulles plein les cheveux et plein la barbe. C’était la première fois que je voyais quelque chose de ce genre à Fairfield.
Pendant tout le temps où je contemplais les merveilles des grands fonds, le pasteur racontait au capitaine Roberts qu’on ne connaissait plus la paix au village à cause de la malédiction de l’ivrognerie et que les jeunes fantômes donnaient le mauvais exemple aux plus âgés. Le capitaine écoutait attentivement et se contentait de dire un mot de temps en temps, à propos de la nature des jeunes gens, et des histoires de jeter sa gourme. Mais quand le pasteur a fini son discours il a rempli nos chopes d’argent et il a dit au pasteur avec un grand geste :
– Je serais désolé de causer du tracas là où j’ai reçu un bon accueil, et vous serez heureux d’apprendre que je reprends la mer demain soir. Maintenant vous devez boire à ma santé pour me souhaiter bon vent.
Alors on s’est levés tous les trois et on a bu à sa santé et ce noble rhum était comme de l’huile bouillante dans mes veines.


A suivre...

(Richard Middleton, The Ghost Ship, 1912, traduction Pascale Renaud-Grosbras)

jeudi 24 décembre 2009

Noël !

On passe en revue des cantiques de Noël par l'orchestre de Brocéliande.
- Maman, la musique elle croit que je suis triste !
Hum... on a peut-être zappé une partie du message, là...

mercredi 23 décembre 2009

Le navire fantôme, 4

Ce n’est qu’à la fin des festivités qu’on a remarqué que quelque chose n’allait pas à Fairfield. C’est le cordonnier qui me l’a raconté le premier, un matin, au « Renard et aux Raisins ».
– Tu connais mon arrière-grand-oncle ? il m’a demandé.
– Tu veux dire Joshua, le gamin tout tranquille ? j’ai dit, parce que je le connaissais bien.
– Tranquille ! a dit le cordonnier indigné. Tu appelles ça tranquille, de rentrer à la maison à trois heures du matin tous les matins aussi soûl qu’un magistrat et de réveiller tout la maisonnée à cause du boucan ?
– Mais ça ne peut pas être Joshua, j’ai dit, parce que je savais que c’était un des jeunes fantômes les plus respectables du village.
– C’est pourtant Joshua, a dit le cordonnier, et une de ces nuits il va se retrouver à la porte s’il ne fait pas attention.
Ca m’a beaucoup choqué d’entendre ça, parce que j’aime pas entendre un homme insulter sa propre famille, et je ne pouvais pas croire qu’un jeune aussi sérieux que Joshua se soit mis à boire. Mais à ce moment-là c’est le boucher Aylwin qui est entré, si furieux qu’il avait du mal à boire sa bière. « Le jeune imbécile, le jeune imbécile », il n’arrêtait pas de dire, et il a fallu un bon moment avant que le cordonnier et moi on ne découvre qu’il parlait de son ancêtre, celui qui était tombé à la bataille de Senlac.
– La boisson ? a demandé le cordonnier avec espoir, parce que c’est humain d’aimer avoir de la compagnie dans nos infortunes, et le boucher a hoché la tête sombrement.
– La jeune nouille, il a dit en vidant sa chope.
Après ça, vous vous doutez bien que j’ai gardé les oreilles grandes ouvertes, et c’était la même histoire par tout le village. Il n’y avait quasiment pas un seul jeune homme parmi les fantômes de Fairfield qui ne titube jusqu’à chez lui aux petites heures du matin, complètement ivre. Je me réveillais la nuit et je les entendais trébucher en bas de chez moi en chantant des chansons scabreuses. Le pire était qu’on ne pouvait plus garder le scandale pour nous et que les gens de Greenhill commencèrent à dire que Fairfield était « imbibé ». Ils ont même appris une chanson à leurs enfants à ce sujet :

Fairfield est imbibé, Fairfield est imbibé, personne n’y aime le thé,
C’est du rhum au déjeuner, du rhum pour le thé,
Du rhum au dîner et du rhum pour souper !


On est accommodants au village, mais ça, on n’a pas aimé.
Évidemment, on a vite découvert où les jeunes se rendaient pour se fournir en boisson, et le patron a été terriblement froissé que son locataire se soit avéré être un tel filou, mais sa femme ne voulut pas entendre parler de rendre la broche, alors il ne put pas l’envoyer promener. Pourtant, au fur et à mesure que le temps passait les choses empiraient et à n’importe quelle heure de la journée on pouvait voir ces jeunes dépravés cuver leur boisson sur la place du village. Presque tous les après-midi on voyait aussi un chariot fantôme cahoter jusqu’au navire avec un chargement de rhum et si les fantômes les plus âgés étaient enclins à décliner l’hospitalité du capitaine, rien n’aurait empêché les jeunots de se précipiter pour en profiter.
Alors un après-midi, pendant que je faisais la sieste, j’ai entendu frapper à la porte et c’était le pasteur, avec l’air grave d’un homme qui doit faire quelque chose et que ça n’enchante pas.
– Je m’en vais aller voir le capitaine à propos de cette ivrognerie au village et je veux que tu viennes avec moi, il a dit comme ça.


A suivre...

(Richard Middleton, The Ghost Ship, 1912, traduction Pascale Renaud-Grosbras)

dimanche 20 décembre 2009

Visites

- Pfff, tous les ans on dit qu'on va s'y prendre deux ou trois mois à l'avance et on n'y arrive jamais ! c'est la course, là ! je peux avoir un café s'il-vous-plaît ?
C'est un papa harassé à la liste longue comme le bras qui fait une halte de dégivrage au Café Clochette.
- Oh, c'est joli ici ! c'est sympa comme concept ! ça fait longtemps que c'est ouvert ? et vous avez le Wifi ? super ! attendez, je reviens avec mon portable !
C'est une jeune fille de l'école d'archi, à une encablure du Café Clochette, et qui revient avec son portable.
- Je va chercher de la neige et je va faire des boules de neige et les lancer sur la vitrine ! oh, bonjour Christine, dis maman, il est là Croco, il peut venir faire des boules de neige pour les lancer sur la vitrine ?
C'est MiniLoup qui fait un crochet entre le marché du samedi et une sieste bien méritée avec son papa et qui, petit Breton sous la neige, rigole comme une baleine. Tout à l'heure il repassera pour demander si le père Noël arrive demain, cette fois-ci, ou si c'est l'anniversaire du Café Clochette.
- Dis, chéri, je vais aimer le café blanc ?
- Hum... pas sûr, tu devrais prendre un chocolat.
- Ah, bon, un chocolat alors. Ah non, allez, c'est Noël, un café blanc !
C'est une dame qui ose, parce que c'est Noël. Bravo, madame !
- Dis madame, ça fait une demi-heure que tu m'appelles Agathe alors que je m'appelle Ariane.
Ca, c'est la cafelière toute rougissante qui se dit que ce métier, quand même, c'est parfois bien difficile. Mais quand même, ça vaut le coup d'être vécu. Et puis ce soir, les vacances !
Bonnes fêtes à tous, que vous soyez en famille ou entre amis, dans une solitude choisie ou non, au milieu des cadeaux ou dans un partage tout simple... que ces quelques jours vous donnent au moins quelques instants de bonheur !

samedi 19 décembre 2009

Le navire fantôme, 3

– Je suis le capitaine Bartholomew Roberts, il a dit d’une voix de gentleman, et je suis venu mouiller ici pour trouver des recrues. Je crois que je l’ai mené un peu haut dans le port.
– Le port ! a crié le patron. Mais vous êtes à cinquante milles de la mer !
Le capitaine Roberts n’a pas frissonné d’une moustache.
– Tant que ça ? il a dit tranquillement. Enfin, ça n’a pas d’importance.
Le patron, ça l’a un peu dérangé.
– Je ne veux pas être un voisin mesquin, il a dit, mais j’aurais préféré que nous n’ameniez pas votre navire dans mon champ. Ma femme compte beaucoup sur ces navets, voyez-vous.
Le capitaine a pris une pincée de tabac dans une élégante boîte en or qu’il avait tirée de sa poche et il s’est essuyé les doigts sur un mouchoir de soie d’une façon très distinguée.
– Je ne suis ici que pour quelques mois, il a dit, mais si un témoignage de mon estime peut apaiser votre dame, j’en serais très heureux.
Sur ce, il a dégrafé une grande broche en or de son col et il l’a lancée au patron. Le patron a rougi comme une cerise.
– Je ne peux pas nier qu’elle aime les bijoux, il a dit, mais c’est trop pour un seul sac de navets.
C’était vraiment une belle broche. Le capitaine s’est mis à rire.
– Allons, mon ami, il a dit, n’en parlons plus. C’est une vente forcée et vous méritez un bon prix. N’en dites pas plus.
Il a penché la tête pour prendre congé, a tourné les talons et s’en est retourné dans la cabine. Le patron a remonté le chemin comme un homme qui a le cœur léger.
– Cette tempête a soufflé la chance dans ma direction, il a dit. La bourgeoise va être ravie de la broche. C’est encore mieux que la guinée du maréchal-ferrant, ça c’est sûr.
Quatre-vingt-dix-sept était l’année du jubilé, l’année du deuxième jubilé, comme vous vous souvenez, et on a eu des célébrations à Fairfield, si bien qu’on n’a pas eu tellement de temps pour s’inquiéter du navire fantôme, bien que de toute façon ça ne soit pas notre genre de nous mêler de choses qui ne nous concernent pas. Le patron a croisé son locataire une ou deux fois en allant biner ses navets et la femme du patron portait sa nouvelle broche tous les dimanches à l’église. Mais on ne se mêlait jamais beaucoup aux fantômes, ni les uns ni les autres, à l’exception d’un idiot qu’il y avait au village et qui ne savait pas faire la différence entre un homme et un fantôme, pauvre innocent ! Le jour du jubilé, pourtant, quelqu’un a dit au capitaine Roberts pourquoi les cloches de l’église sonnaient et il a hissé un drapeau et donné la canonnade comme un loyal Anglais. Je peux vous assurer que les canons ont été tirés, et qu’un des boulets a fait un trou dans la grange du fermier Johnstone, mais personne ne s’en est offusqué dans l’atmosphère festive qu’il y avait.
Ce n’est qu’à la fin des festivités qu’on a remarqué que quelque chose n’allait pas à Fairfield. C’est le cordonnier qui me l’a raconté le premier, un matin, au « Renard et aux Raisins ».



A suivre...

(Richard Middleton, The Ghost Ship, 1912, traduction Pascale Renaud-Grosbras)

vendredi 18 décembre 2009

Tajine d'agneau aux fruits secs

Une recette éprouvée au Café Clochette, impossible à rater. Laisser mijoter aussi longtemps que possible à tout petit feu, voilà le secret.
Cette recette est adaptée d'une recette du site Odelices, ici (clic).


Tajine d'agneau aux fruits secs

Faites dorer dans un mélange d'huile d'olive et de beurre de l'agneau coupé en gros cubes, un kilo environ. Quand tout est bien doré, ajoutez deux oignons émincés, laissez dorer encore un peu. Ajoutez du gros sel, du poivre, et deux ou trois cuillères à soupe de mélange d'épices à vin chaud (cannelle, girofle, poivre noir), puis couvrez d'eau et laissez mijoter tranquille pendant une bonne demi-heure. Ajoutez ensuite des pruneaux dénoyautés, une cuillère à soupe d'eau de fleur d'oranger, une cuillère à soupe de sucre et quelques poignées d'amandes effilées. Suivant votre goût, vous pouvez aussi mettre des cranberries ou des raisins secs. Laissez mijoter tranquille à nouveau, pour une autre demi-heure au moins, jusqu'à ce que la viande soit très tendre. Servez avec de la semoule.

jeudi 17 décembre 2009

De bonnes questions et d'incertitudes maternelles

- Maman ! c'est quoi l'infini ?
- Hum... ça c'est une question pour un spécialiste. Tu préfères un théologien ou un astrophysicien ?
- Moi je préfère le chocolat blanc.
- Ah. Et tu crois que c'est quoi, toi, l'infini ?
- Moi, je crois que c'est l'espagnol ! c'est super grand ! et encore plus grand derrière !
- Ben tu vois, t'as déjà tout compris. C'est quand il n'y pas de limites.
- Ah ? et ça limite quoi, alors, l'infini ?
- Euh, je ne sais plus si c'est l'espace-temps ou le pari de Pascal, là tout de suite... ou un truc dans le genre.
- Le pari, c'est là où y a la Tour Eiffel ? et pourquoi elle est à toi, la Tour Eiffel ?
- Elle est pas à moi, c'est une expression.
- Et une expression, c'est quoi ?
- Quand je dis, "l'infini c'est très grand" ou "quand les poules auront des dents", c'est une expression. Ca veut pas vraiment dire quelque chose en soi, mais ça parle quand même, tu vois. Enfin en gros.
(Cogite)
- Dis maman ?
- Hum ?
- Pourquoi je comprends pas quand tu m'expliques ?

Bonne question.

mercredi 16 décembre 2009

J'aime, j'aime pas

Au bout d'un an, j'aime...

Quand le lave-vaisselle est vide, les plans de travail étincelants, le ménage fait.
Hacher une grande plaque de chocolat avec mon grand couteau.
Partager la corvée de pluche avec mon fiston.
Voir arriver un tout-petit qui a grandi depuis la dernière fois.
L'instant arrivé par surprise, où on se parle une minute ou plusieurs en gagnant du temps sur le temps.
Sentir en coupant le poulet que le biryiani sera bon.
Aller discuter le bout de gras avec les voisines qui font restauratrice comme moi un peu plus loin dans la rue, et partager nos recettes de foie gras.
Voler une journée hors du temps à ces semaines bien pleines.
La grâce des journées fluides.
Faire du commerce à ma façon.
La présence discrète en cuisine d'un oeil qui surveille aimablement ce que je fais.
Me laisser surprendre par la gentillesse (mais j'aime pas quand mon gang félin s'en vient grignoter la rose qu'on vient de m'offrir, comme ça, juste pour dire).
La salade de lentilles vertes, dos de saumon et baies roses. Et le petit verre de chardonnay qui va avec, au fin fond de la nuit, à la fin d'un service qui clôt une journée bien pleine.

J'aime pas...

Rentrer les trente-cinq kilos de courses hebdomadaires sous la pluie, avec le vent qui me pousse la capuche dans la figure.
Faire le ménage. Beuah.
Me coucher tôt.
Me réveiller tôt.
Quand le nouveau plat que j'imaginais imaginatif, goûteux et original est juste mangeable et rien d'autre.
Faire la causette à mon nouveau four qui n'a pas de conversation, ou plutôt qui a la même tous les jours.
Le client revêche qui ne sourit pas, claque des doigts pour m'appeler, râle que le café est trop chaud et houspille son fils parce qu'il n'a pas dit merci madame.
Rater un gâteau. Grrr.
La crainte que tout ça puisse s'arrêter sans trop prévenir.

Et pourtant... j'aime imaginer que c'est un chemin et que je ne sais pas de quoi sera fait le prochain carrefour. On remet tout en jeu tous les jours. La mouette a raison, ça doit être une question de foi, finalement.

mardi 15 décembre 2009

Le navire fantôme, 2

La cause de ce que je vais vous raconter, ce fut la grande tempête du printemps de 97, l’année où il y a eu deux grosses tempêtes. Là c’était la première, et je m’en souviens très bien parce que j’ai découvert le lendemain matin qu’elle avait soulevé le toit de ma porcherie et l’avait déposé dans le jardin de la veuve aussi délicatement que si ça avait été le cerf-volant d’un gamin. Quand j’ai regardé par-dessus la haie, j’ai vu la veuve (c’est la veuve de Tom Lamport dont je vous parle) en train de chercher ses capucines avec une griffe à marguerites. Je l’ai regardée faire un moment puis je suis allé au « Renard et aux Raisins » pour raconter au patron ce qu’elle m’avait dit. Le patron s’est mis à rire parce que c’est un homme marié et il s’y connaît en femmes. « Mais puisqu’on parle de ça, il a dit, la tempête a poussé quelque chose dans mon champ. Un genre de bateau, je crois bien. »
Ca m’a surpris, mais il a expliqué que ce n’était qu’un navire fantôme et que ça n’abîmerait pas les navets. On a discuté et on a conclu qu’il avait dû être poussé là depuis Portsmouth, et puis on a parlé d’autre chose. Deux tuiles étaient tombées du toit du presbytère et un gros arbre s’était abattu dans le pré de Lumley. C’était vraiment une grosse tempête.
Je crois bien que le vent avait éparpillé nos fantômes aux quatre coins de l’Angleterre. Pendant des jours après ça, ils sont rentrés sur des chevaux épuisés et les pieds aussi endoloris qu’on peut imaginer, et ils étaient tellement contents d’être rentrés à Fairfield que certains d’entre eux remontaient la grand-rue en pleurant comme des mômes. Le châtelain a dit qu’il n’avait pas vu l’arrière-grand-père de son arrière-grand-père aussi crevé depuis la bataille de Naseby, et c’est un homme qui a de l’éducation.
Enfin avec tout ça, je crois qu’il a bien fallu une semaine avant que les choses se tassent, puis un après-midi je rencontrai le patron sur la place et il avait l’air préoccupé. « J’aimerais bien que tu viennes voir ce navire dans mon champ, il m’a dit, j’ai l’impression qu’il appuie fort sur les navets. Je n’aime pas imaginer ce que la bourgeoise dira quand elle le verra. »
J’ai descendu le chemin avec lui, et comme on pouvait s’y attendre il y avait un navire au beau milieu de son champ, mais le genre de navire qu’aucun homme n’a vu en mer depuis plus de trois cents ans, et encore moins au milieu d’un champ de navets. Il était peint en noir et tout couvert de sculptures et il y avait une grande fenêtre dans la proue, tout à fait comme dans le grand salon du châtelain. Il y avait une grande quantité de courts canons noirs sur le pont et d’autres qui pointaient par les sabords et il était ancré aux deux bouts à la terre ferme. J’ai vu les merveilles du monde sur des cartes postales, mais je n’avais encore jamais rien vu de ce genre.
– Il a l’air très solide pour un navire fantôme, j’ai dit en voyant que le patron avait l’air embêté.
– Ca m’a l’air d’être entre les deux, il a répondu les sourcils froncés, mais ça risque d’abîmer environ cinquante navets, et la patronne va vouloir qu’on le déplace.
On est allés jusqu’au navire et on a touché la coque, elle était aussi dure que celle d’un vrai navire.
– Il y a des gens en Angleterre qui appelleraient ça très étrange, il a dit.
Je n’y connais pas grand-chose aux navires, mais je pense que ce navire fantôme-là devait peser ses deux cents tonnes et j’avais bien l’impression qu’il était là pour durer. Ca m’a rendu désolé pour le patron, qui était un homme marié.
– Tous les chevaux de Fairfield n’arriveront pas à l’enlever de mes navets, il a dit d’un air pas content.
A ce moment on a entendu du bruit sur le pont et on a regardé vers le haut, et on a vu qu’un homme était sorti de la cabine avant et qu’il nous contemplait d’en haut d’un air tout à fait paisible. Il était vêtu d’un uniforme noir incrusté de dentelles d’or passé et il portait un énorme sabre au côté dans un fourreau en cuivre.


A suivre...

(Richard Middleton, The Ghost Ship, 1912, traduction Pascale Renaud-Grosbras)

lundi 14 décembre 2009

L'association La Brise

Saviez-vous qu'il y avait en Bretagne un réseau de soins palliatifs destiné aux enfants ? Depuis 2006, 111 enfants ont été suivis par le Réseau Régional de Soins Palliatifs Pédiatriques. L'association La Brise, qui a son siège à l'Hôtel-Dieu à Rennes, à trois pas du Café Clochette, contribue à soutenir ce réseau.
C'est vrai que la fin de vie de l'enfant c'est un sujet difficile, auquel on n'aime pas penser quand on a des enfants en bonne santé, et puis c'est vrai qu'avec ou sans ce réseau les enfants continueront de mourir... mais c'est un travail important. Les familles sont accompagnées, elles peuvent choisir le lieu de décès de leur enfant et elles demandent que d'autres familles puissent bénéficier de cet accompagnement. Or avec la crise, le gouvernement, les finances publiques qui s'effilochent malgré des exigences qui vont croissant... les temps sont durs aussi pour les enfants en fin de vie.
Si vous voulez donner un coup de pouce, faire un petit geste pour Noël, vous pouvez le faire via l'association*.

Association la Brise
CHU de Rennes
2, rue de l'Hôtel-Dieu
CS 26410
35064 Rennes cedex
http://www.labrise.fr/

* Chèque à l'ordre de l'association La Brise, reçu fiscal avec déduction d'impôts.

dimanche 13 décembre 2009

Cake au crémant

Comment utiliser des fonds de bouteille de crémant qui n'ont plus de bulles (au grand dam de quelqu'un par ici) ? on les transforme en cake pour le brunch, par exemple, en s'inspirant d'une recette de Bruno Doucet du restaurant la Régalade à Paris.

Cake au crémant

Dans le bol d'un robot, mettre 300 g de farine, un sachet de levure, 250 g de sucre, 3 oeufs, 20 cl d'huile végétale (tournesol, par exemple) et 25 cl de crémant. Faire tourner, bien racler les bords du bol, refaire tourner, verser la pâte dans un moule à cake chemisé. Faire cuire à 180°C pendant 35 à 40 mn.

samedi 12 décembre 2009

The Curse of the Ugly Meringue

Tous les restaurants, je suppose, ont leur plat maudit. Le truc qu'on s'acharne à mettre à la carte, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, la moins idiote étant que les clients aiment ça et la pire, peut-être, que ça a toujours été à la carte même si personne n'en prend jamais. Bon, au Café Clochette il n'y a pas de carte de toute façon, c'est une ardoise qui change tout le temps. Mais dans les petits gâteaux, il y a une certaine régularité, il y en a donc qui reviennent souvent. Les mantecaos ne sont jamais absents longtemps de mes fameuses boîtes, par exemple. Les croûtes à thé viennent cette semaine de faire un retour triomphal. Les sablés ont une location à l'année. Les macarons de Christine ne quittent jamais ces rivages. Et le gâteau noix de coco-caramel n'est pas près de disparaître.
Par contre, un truc qui risque de faire son concert d'adieu dans pas longtemps pour prendre une retraite bien méritée, c'est la meringue. On fera les choses bien, avec feu d'artifice, confettis, ballons à l'hélium et don d'une chaise longue pour les longues soirées d'été, mais nom d'une éponge des mers, je m'en vais l'envoyer se reposer à la campagne en deux temps trois mouvements si elle persiste à m'énerver, la meringue. A chaque fois, je retiens mon souffle quand je me retrouve avec une demi-douzaine de blancs d'oeufs. Aurai-je le cran de refaire des meringues ? parfois, non. Parfois, je fais des crrrrroustillants aux amandes, des amarettis, des rochers coco. Il m'arrive d'imaginer que je pourrais me faire un masque de beauté pour faire peur à mes chats.
Mais parfois, il me vient l'idée saugrenue de peser les blancs, de les mettre dans le bol de Prosper, de les fouetter, de les serrer avec le même poids de sucre en poudre puis d'ajouter encore la moitié de leur poids en sucre glace. Là, je tremble. Quel sera le souci ? un appareil trop liquide, qui s'étale sur la plaque, me grimpe sur les poignets, se fourre dans mes cheveux ? ça arrive, c'est très agaçant. Mais il y a aussi l'appareil parfait, qui va se poser en petits tas délicats sur la plaque, avec la petite houpette rigolote sur le dessus, et ne bougera pas quand je glisserai les plaques dans le four. Et c'est peut-être le plus inquiétant, parce que c'est à la cuisson que tout peut alors arriver. Malgré le truc infaillible de laisser la porte entrouverte à l'aide d'une cuillère en bois pour laisser s'échapper l'humidité, il arrive qu'on ait un résultat pitoyable. Les meringues qui gonflent, gonflent, gonflent, deviennent creuses à l'intérieur et qui explosent dès qu'on les touche. Celles qui deviennent dures comme de la pierre, avec une collerette de sucre fondu tout autour. Celles qui ont l'air tout à fait bien, mais qui retombent en 3 secondes à la sortie du four. Celles qui prennent une belle couleur dorée en 10 minutes puis refusent de cuire.
Et puis celles qui prennent des formes hideuses. Je jurerais que celles d'hier soir essayaient de me faire passer un message. Du genre "si tu persistes à gâcher du sucre en poudre dans des gâteaux au citron et au pavot, toua wouar ta tête à la récré". Ou "vive la betterave libre". Ou peut-être était-ce la plainte déchirante des amandes réduites en poudre sur l'autel du sacrifice rituel du brownie au chocolat. Je ne sais, mais ça m'a fichu un sacré bourdon.
Que celui ou celle qui ne s'est jamais senti menacé par sa production culinaire me lance la première louche à fruits. Ceux qui ont senti le regard lourd de menaces du résultat de leurs élans pâtissiers savent que c'est un grand moment de solitude au fond de nos cuisines.

vendredi 11 décembre 2009

Le navire fantôme

Fairfield est un petit village situé non loin de la route de Portsmouth, à mi-parcours environ entre Londres et la mer. Les voyageurs qui, de temps à autre, le découvrent par hasard disent que c’est un endroit plein d’un charme désuet. Nous qui l’habitons n’y trouvons rien de particulièrement charmant, mais nous serions désolés d’habiter ailleurs. Nos esprits ont pris la forme de l’auberge, de l’église et de la place, je suppose. Quoi qu’il en soit, nous ne sommes jamais à l’aise lorsque nous sommes loin de Fairfield.
Les Londoniens, avec leurs grandes maisons et leurs rues bruyantes, peuvent bien nous traiter de péquenots, Fairfield n’en est pas moins plus agréable à vivre que Londres. Le docteur dit que lorsqu’il se rend à Londres son esprit est tout écrasé par le poids des maisons, et pourtant il est né là-bas. Il a dû y vivre lorsqu’il était tout gamin mais il a plus de bon sens à présent. Vous autres gentlemen pouvez bien rire – peut-être bien que certains d’entre vous viennent de Londres – mais je suis sûr qu’un tel témoin vaut son pesant d’or.
Vous trouveriez peut-être la vie ici un peu ennuyeuse, c’est certain, mais je vous assure que j’ai écouté toutes les histoires de Londres que vous avez racontées ce soir et qu’elles ne sont rien du tout par rapport à ce qui se passe à Fairfield. C’est à cause de notre façon de voir les choses et de nous mêler de nos propres affaires. Si un seul de vos Londoniens se retrouvait sur la place du village un samedi soir, quand les fantômes des jeunots qui sont morts à la guerre content fleurette aux jeunes filles enterrées dans le cimetière de l’église, il ne pourrait pas s’empêcher d’être curieux et de se mêler de ce qui ne le regarde pas, et alors les fantômes iraient chercher un coin plus calme. Nous, on les laisse aller et venir et on n’en fait pas toute une histoire, et c’est pour ça que Fairfield a la population de fantômes la plus importante de toute l’Angleterre. Me croiriez-vous si je vous disais que j’ai vu un homme sans tête assis sur la margelle du puits en plein jour, avec les gamins du village qui jouaient sous ses pieds comme si c’était leur propre père ? Croyez-moi sur parole, les esprits savent bien où ils seront à l’aise, tout autant que les êtres humains.
Je dois bien avouer pourtant que ce que je vais vous raconter était étrange, même pour notre coin perdu où trois meutes de chiens fantômes chassent régulièrement pendant la saison et où l’arrière-grand-père du maréchal-ferrant s’active toute la nuit à ferrer les chevaux des gentlemen décédés. Ca, c’est une chose qui n’arrive jamais à Londres, à cause de leur habitude de se mêler de ce qui ne les regarde pas, mais le maréchal-ferrant d’ici dort à poings fermés et aussi tranquillement qu’un agneau. Une nuit il avait la migraine, alors il leur a crié de faire moins de bruit, et le lendemain matin il a trouvé une vieille pièce d’une guinée sur l’enclume en guise d’excuses. Il la porte sur sa chaîne de montre à présent. Mais je dois continuer mon histoire ; si je commence à vous raconter les choses étranges qui se passent à Fairfield je n’arriverai plus à m’arrêter.

A suivre...

(Richard Middleton, The Ghost Ship, 1912, traduction de Pascale Renaud-Grosbras)

jeudi 10 décembre 2009

Melopita

J'ai trouvé la recette de cette spécialité grecque chez Parmesan et Paprika, ici (clic). C'est un genre de flan au bon goût de miel, sans farine (et donc sans gluten). Etonnant et délicieux.

Gâteau au fromage frais et au miel, la melopita

500g de ricotta
1 verre de miel
7 oeufs
1/2 verre de sucre

Mélanger le tout, verser dans un moule sur une hauteur de 1 cm environ puis cuire à 200°C pendant 40 à 45 mn.

mercredi 9 décembre 2009

Boulons sanglots des violons de l'hiver

Visite chez Mister C., pour serrer quelques boulons de chiffres.
- Ah, vous avez toujours des soucis avec le RSI ? tiens... je m'en vais les appeler, on verra bien.
Mister C. a courtoisement tiré les vers du nez de l'ordinateur qui communiquait avec la dame au bout du fil et à eux trois, ils ont débrouillé ma situation. Si j'ai bien tout compris, il va falloir que je pense systématiquement à mettre de côté environ un tiers des sous que je pourrai un jour me verser, pour les appels de cotisations. En termes laïcs, si je prends 100 euros pour ma pomme sur le compte de l'entreprise (si, si, j'ai le droit, c'est même un peu le but de la manoeuvre), 60 seront pour moi, 30 pour l'ensemble des assurés sociaux et pour la gestion des organismes qui gèrent tout ça, et 10 pour les alouettes (enfin je crois que quelques détails m'échappent encore).
Bon, j'ai fait un gros chèque, pris note de la distribution à venir et je m'apprêtais à passer à autre chose (une nouvelle recette, en fait) quand Mister C. m'a dit :
- Et pour vos cotisations vous en êtes où ?
- Euh... on vient pas de s'en occuper là ?
- Ah non, enfin oui, mais c'était pour vous, vous avez bien une employée ?
- Ah oui, oui bien sûr. Et bien ça va, je passe par le Tese et c'est moins dur que d'en écrire une. De thèse. Ahem. Enfin oui, ça va.
- Je peux jeter un oeil ?
- Oui bien sûr.
Ahem. En fait ça n'allait pas si fort que ça. Il ressort de la conversation que Mister C. a eue avec un monsieur du Tese et l'ordinateur connecté au monsieur que j'ai oublié de cocher une case quelque part, que j'ai oublié de déduire des repas et que j'aurais dû faire un avenant à un moment ou à un autre. Enfin, comme a dit le monsieur à Mister C., "vous savez, le Tese c'est très bien mais il faut bien connaître les subtilités du droit social pour ne pas faire de bêtises avec." Ca nous a bien fait rigoler, Mister C. et moi, parce que le Tese se présente comme le sésame des petites entreprises en matière de gestion des salaires, vu que c'est simple à remplir. Enfin c'est simple à remplir mais c'est encore plus simple de faire des bêtises en le remplissant, quoi.
Résultat des courses, il va falloir que je serre quelques boulons et ça me saoule d'avance. C'est pas cette semaine que je vais admirer la fossette de Josh, tiens.
Enfin pour le reste, d'après Mister C., tant que le chiffre d'affaires tend vers le prévisionnel, ça va. Donc un jour, non seulement le Café Clochette existera toujours, mais en plus je pourrai en vivre, si c'est pas formidable ! Si, c'est formidable. Si vous n'avez pas suivi les péripéties jusqu'à présent, c'est-à-dire depuis un an et demi maintenant, vous ne pouvez même pas deviner à quel point c'est formidable. Et pour la Mouette, qui se bat en ce moment pour obtenir un financement, c'est du formidable encore irréel. Accroche-toi, la Mouette... ce n'est pas la fin de la bataille.
Foi d'affiliée au RSI, au Tese et à tout un tas d'autres machins.

mardi 8 décembre 2009

Atelier massage bébé

Les mercredi 27 et jeudi 28 janvier de 9h30 à 11h30, Chantal Delanoë vous propose un atelier de massage bébé, ouvert à tous ceux et celles qui souhaitent entrer en communication avec leur bébé et créer un lien par le toucher. Cet atelier est basé sur l’écoute, l’échange et le partage avec respect et bienveillance. Il se déroule en plusieurs temps : accueil des parents et de leur bébé, moment de relaxation pour les parents, atelier massage (entre 20 à 30 minutes selon les bébés), temps de paroles et d’échange autour d’un thé ou d’une tisane.
L’animatrice, Chantal Delanoë, infirmière et maman de trois enfants, a été formée en Inde par une accoucheuse traditionnelle. Elle propose des soins ayurvédiques aux huiles chaudes à l’espace détente Harmonie et Bien-Être de Noyal-sur-Vilaine et fait également partie de l’Association Quiétude à Rennes. C’est en tant que salariée de cette association qu’elle met à disposition ses compétences professionnelles au service de chacun.
Le tarif sera de 17 euros (dont 2 euros d’adhésion ponctuelle) ou 25 euros (dont 10 euros d’adhésion annuelle donnant droit à d’autres ateliers ou accompagnement de l’Association Quiétude à des tarifs préférentiels).
Vous pouvez vous inscrire directement auprès de Chantal au 06 63 04 52 14.

lundi 7 décembre 2009

Brunchs vacanciers

Hier, c'était le premier brunch au Café Clochette. Ca m'a donné envie de remettre ça (aussi parce que j'ai prévu des pancakes au prochain menu et que j'aime bien ça les pancakes, si je suis parfaitement honnête avec vous, comme je m'efforce de l'être ici dans les limites de ma névrose habituelle - des pancakes avec des noix de pécan caramélisées et du sirop d'érable, ou du sucre roux et des tranches d'orange à la cannelle, je ne sais pas encore). Où en étais-je ? ah oui, les brunchs. Je pense que nous allons continuer la formule du "un brunch par mois, sur réservation seulement", chaque premier dimanche du mois. Et pour commencer, on va déroger à cette règle nouvellement posée : rien de tel pour se garder de tomber dans le dogme que de le mettre sur la tête à la moindre occasion. Pour lui faire les pieds. Au dogme, je veux dire. Vous me suivez, là ? non ? bon bref.
Alors pour commencer, je vous annonce que les réservations sont ouvertes pour un brunch de Noël le jeudi 24 à partir de midi. Pour faire bonne mesure, il y aura aussi un brunch, de nouvel an celui-là, le jeudi 31 à partir de midi. Comme ce sont des dates festives, il y aura des trucs un peu améliorés, comme ma petite terrine de foie gras maison par exemple, enfin je ne révèle pas les secrets à l'avance, sinon ce serait moins rigolo. Les tarifs sont raisonnables, à raison de 12 euros par adulte et 5 euros par enfant de plus de 2 ans.
Ca tombera au milieu des vacances du Café Clochette, puisque, à l'exception de ces deux dates, nous fermerons du lundi 21 décembre au mercredi 6 janvier. Comme c'est ouvert aux Libellules (voir ici, clic), vous ne serez pas orphelins d'un endroit où vous détendre en famille avec des tas d'activités intéressantes.
Quant à moi, je me réjouirai de vous revoir dès le début de l'année. Pendant ces quelques jours, je vais revenir à mes anciennes amours et refaire marcher mon ciboulot à l'aide d'un dictionnaire anglais-français et d'une petite boîte où déposer tendrement les touffes de cheveux que je ne manquerai pas de m'arracher au cours de cet exercice. J'envisage également, à mes moments perdus, d'avancer la rédaction du livre de recettes du Café Clochette - ce pour quoi il me faudra sans doute une deuxième petite boîte. C'est que les cartes de fidélité se remplissent à toute allure et je commence à sentir le vent du boulet !
Alors n'hésitez pas à contacter le Café Clochette pour vos réservations brunchesques festives.
Et puis d'ici là, le Café Clochette reste ouvert : jeudi prochain de 9h30 à midi, il y aura la réunion mensuelle du groupe "bambins" de LLL et samedi, de 10h à 11h30, une permanence de l'association Maman Blues.
Encore un détail : il y a de nouveaux jouets en stock, n'hésitez pas à venir jeter un oeil. J'ai dans l'idée que les quelques canards dandinants vont trouver des familles d'adoption, ainsi que la fameuse "maison des clés" : tous les soirs c'est le suspense, qu'est-ce que les petits y ont enfermé aujourd'hui ? cette semaine, j'y ai retrouvé des petites peluches, de petits voitures et, plus original, les pièces du grand puzzle du camion. Toutes sauf une qui avait atterri dans le four. Il s'en passe des choses, dans les fours du Café Clochette.

dimanche 6 décembre 2009

Cannibake

Quand sait-on qu'on commence à se dépatouiller pas trop mal en cuisine ?
Quand les gâteaux essaient de s'entredévorer.

samedi 5 décembre 2009

L'ingrédient magique

C'est un peu compliqué la vie d'une cafelière et le temps qu'il se passe des trucs chouettes à vous raconter, il s'est déjà passé des tas d'autres trucs chouettes que je ne trouve toujours pas le temps de vous raconter...
Hier, il y a eu la visite de trois étudiants qui font des études en économie sociale et solidaire et qui voulaient discuter le bout de gras à propos de restaurants sans gluten, ce fut un moment des plus sympathiques. Et puis hier soir c'était plein, et encore ce midi, et encore ce soir, et l'épaisseur du temps transforme les petits instants magiques : la course des canards en bois, les tout-petits qui ont faim, les grandes qui engloutissent leur crème au chocolat.
J'ai découvert qu'en ajoutant un ingrédient secret dans une recette ordinaire, j'arrive à créer un truc incroyable, dont on sait qu'on connaît le goût mais personne n'arrive à mettre le doigt dessus, et ça m'amuse beaucoup de faire des trucs comme ça. Il en faut peu pour m'amuser, remarquez. Comme la truffe de mon chat ce matin en découvrant Croco sous la couette, il a commencé par faire son air égaré, puis il a bondi tout droit sur ses pattes et il a filé en courant. Ces derniers temps, il est un peu nerveux. Allez savoir pourquoi.
Je me suis retrouvée ce soir à marcher dans les rues avec des gens, des vrais gens, dans le froid, sous les lumières de Noël. A force d'être attachée à mes fourneaux au fin fond de ma cuisine, je savoure chaque seconde passée dans le monde extérieur...
Je m'amuse d'être "la dame", la dame du Café Clochette : "on va demander à la dame si tu peux avoir une crêpe" et hop, la dame amène la crêpe...
Quand la salle est pleine et bourdonne et que je commence à être peut-être un peu lasse, je me réconforte en me disant que tout à l'heure, quand le ménage serait fait et les derniers gâteaux cuits, je pourrai boire à petites gorgées ravies mon verre de Pic Saint-Loup en admirant la fossette de Josh Lyman. Non mais quelle fossette quand même.
Ca fait plus d'un an que j'essaie de mettre le doigt sur l'ingrédient magique qui fait fonctionner tout ça. Parfais j'ai l'impression d'avoir trouvé et c'est effectivement quelque chose qui manquerait si ça n'était pas là, mais ce n'est pas encore le truc magique. Le grain de sel. Voilà, c'est ça : ce qui fait marcher tout ça, c'est le grain de sel.
Et je vous jure qu'il faut en avoir un, de grain, pour vivre ça au quotidien !

vendredi 4 décembre 2009

Brunch et tout ça

Je vous rappelle que dimanche aura lieu le premier brunch du Café Clochette. C'est à 13 heures, sur réservation seulement (attention, il reste très peu de places). Il devrait y avoir du saumon fumé pour les grands et des croques à la sardine pour les petits, à moins d'un contre-ordre toujours possible.
Demain samedi, le Café Clochette devra fermer ses portes momentanément l'après-midi (de 15h30 à 18h environ), mais le service du midi et celui du soir seront assurés. Au menu : petite terrine au cognac, lasagnes feta-épinards, cake orange-pépites de chocolat pour les grands (ou autre chose à l'ardoise, clic) et pour les petits, du jambon grillé, du riz basmati et de la crème au chocolat. A moins qu'un lutin malicieux ne se mêle à l'histoire et décide de concocter de la mousse au chocolat et du lapin chasseur au milieu de la nuit, mais ça arrive rarement.

Spatial dino

- Eh ben mon vaisseau, c'est un vaisseau hyper-spatial ! il est hyper-grand ! même qu'il est plus gros que les kilos d'un hippopotame ! alors !
- Ah oui, c'est incroyable.
- Et il faut pas le casser, hein ? super-spatiaaaaaaal !
- Ah, euh, oui d'accord. Trop fort mon loup.
- Chuis pas un loup, chuis un dinosaure dans un vaisseau spatiaaaaal !

Des fois, il faut pas discuter. Se taire et rigoler à l'intérieur, ça suffit largement.

jeudi 3 décembre 2009

Généalogie d'un déterminisme ordinaire

Un mien cousin s'est réveillé, citoyen ordinaire, un petit matin d'hiver... mais ne sommes-nous vraiment que des citoyens ordinaires, quand l'extraordinaire fait irruption dans nos quotidiens ? Il m'a envoyé le message qui suit, que je vous fais suivre à mon tour. Et pour que ce soit clair (parce que par ici ça ne l'est pas toujours) : non, ce n'est pas une fiction. Hélas...


Six heures du matin, Paris, sur les bords des Maréchaux, aux avant-postes des conquêtes du froid.
Une déflagration sourde suivie d'aboiements inhabituels me tire violemment des rêves douillets du petit matin dans lesquels j'ai toujours plaisir à me perdre. Un cri guttural perce l'ouate molletonnée du sommeil : " police ! ". J'émerge difficilement et ouvre ma porte. Celle de mon voisin, blindée avec serrure trois points, n'a visiblement pas eu l'audace de résister à la force légitime et violence légitimée par l'uniforme. Elle gît dans le couloir et un chien policier victorieux clame sa supériorité en la foulant aux pattes. Un bélier en travers du couloir, des chiens, une bonne douzaine de policiers et policières : "rentrez chez vous Monsieur, rentrez immédiatement".
Sept ans, pas de père, ou plutôt père inconnu, la mère a trop d'amants. Il s'appelle Sébastien, parce que Maman adorait regarder Belle et Sébastien à la télé quand elle était petite. Elle est morte d'une overdose dans la cage d'escalier qui menait au domicile de la grand-mère dans lequel elle vivait avec Sébastien. Sept ans, pas de père, plus de mère et pour seule famille une grand-mère qui a quatre enfants de quatre pères différents et dont aucun n'a reconnu aucun. L'un des oncles de Sébastien fait le va et vient entre la prison et le domicile de la grand-mère, l'autre est parti sans laisser d'adresse. La maman de Sébastien est morte et la dernière des filles qui a échoué au brevet des collèges tente une formation d'aide à la personne.
Quand Sébastien a perdu sa mère, il a été confié à la DASS par la justice. L'oncle taulard et l'overdose de la mère ont joué en défaveur de la grand-mère. Il a ensuite été bringuebalé de centres du sud-est en centres du nord-ouest et onze ans se sont passés pendant lesquels il revenait voir grand-mère sur les Maréchaux parisiens pendant les vacances. A dix-huit ans, le domicile de la grand-mère devint le sien de fait.
Il a raté son brevet des collèges. Est-on en mesure d'avoir la tête libre pour additionner 2+2 et soustraire quelques fractions quand son passé, sa vie, est celle de Sébastien ?
Le petit garçon de sept ans mesure maintenant un mètre quatre vingt dix et est bâti comme un rugbyman. Depuis ses dix-huit ans, il n'habite pas vraiment chez sa grand-mère, il y dort. N'ayant aucun diplôme, il n'a aucun travail. N'ayant aucun travail, il n'a aucun argent. Mais jeune adulte dans un foyer où la télévision braille en permanence des désirs à désirer plus que tout et dans l'immédiateté, il a des besoins. Il n'est donc que peu le bienvenu chez mamie qui le met régulièrement à la porte et lui a supprimé les clés de l'appartement.
Sébastien est en bas, avec les copains, dans la cage d'escalier du 3 ou du 1. Il fume des pétards à l'endroit même où sa mère est morte une grosse dizaine d'années plus tôt. Quand les vieux râlent trop que ça pue dans l'entrée, ils se réfugient tous dans le local poubelle pour boire du red-bull additionné de vodka ou de gin, en fumant quelques pétards pour oublier que l'on peut se souvenir.
Mais oublier coûte cher et Sébastien a investi.
Les policiers ont emmené Sébastien ce matin dans les lueurs blafardes et froides de l'aurore. Le gardien de l'immeuble a pu dire par la suite que Sébastien n'avait de toute façon rien compris, qu'il faisait le malin avec ses menottes aux poignets. Dernières escarbilles, ultimes feux jetés sur le monde des Maréchaux. Fierté : le maigre butin des vaincus.
Si vous ne connaissez pas intimement la suite dans votre chair et votre esprit, vous l'imaginez aisément. Garde à vue, fouille à corps, enfermement dans quelques mètres carrés jamais lavés et puants, questions et questions sans autre nourriture qu'un maigre sandwich au pain déjà trop vieux. Pour la justice française kantienne, Sébastien sera coupable puisqu'il n'est pas dément et est donc possesseur d'un libre-arbitre. Sébastien avait le choix de vendre ou de ne pas vendre de drogue. Il a choisi la délinquance, donc il doit être puni. Sébastien a eu le choix de ne pas avoir de père, d'avoir une mère décédée d'overdose, d'être privé d'amour et de faire semblant de vivre en se défonçant réellement. On a les choix que l'on peut !
Quand Sébastien est parti ce matin, entouré de policiers, la grand-mère lui a crié "bon débarras, reste-y !", puis "et ma porte, qui c'est qui va me la payer la porte ?".
Les policiers n'ont rien répondu, France 3 était en train de tourner.
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