mardi 15 décembre 2009

Le navire fantôme, 2

La cause de ce que je vais vous raconter, ce fut la grande tempête du printemps de 97, l’année où il y a eu deux grosses tempêtes. Là c’était la première, et je m’en souviens très bien parce que j’ai découvert le lendemain matin qu’elle avait soulevé le toit de ma porcherie et l’avait déposé dans le jardin de la veuve aussi délicatement que si ça avait été le cerf-volant d’un gamin. Quand j’ai regardé par-dessus la haie, j’ai vu la veuve (c’est la veuve de Tom Lamport dont je vous parle) en train de chercher ses capucines avec une griffe à marguerites. Je l’ai regardée faire un moment puis je suis allé au « Renard et aux Raisins » pour raconter au patron ce qu’elle m’avait dit. Le patron s’est mis à rire parce que c’est un homme marié et il s’y connaît en femmes. « Mais puisqu’on parle de ça, il a dit, la tempête a poussé quelque chose dans mon champ. Un genre de bateau, je crois bien. »
Ca m’a surpris, mais il a expliqué que ce n’était qu’un navire fantôme et que ça n’abîmerait pas les navets. On a discuté et on a conclu qu’il avait dû être poussé là depuis Portsmouth, et puis on a parlé d’autre chose. Deux tuiles étaient tombées du toit du presbytère et un gros arbre s’était abattu dans le pré de Lumley. C’était vraiment une grosse tempête.
Je crois bien que le vent avait éparpillé nos fantômes aux quatre coins de l’Angleterre. Pendant des jours après ça, ils sont rentrés sur des chevaux épuisés et les pieds aussi endoloris qu’on peut imaginer, et ils étaient tellement contents d’être rentrés à Fairfield que certains d’entre eux remontaient la grand-rue en pleurant comme des mômes. Le châtelain a dit qu’il n’avait pas vu l’arrière-grand-père de son arrière-grand-père aussi crevé depuis la bataille de Naseby, et c’est un homme qui a de l’éducation.
Enfin avec tout ça, je crois qu’il a bien fallu une semaine avant que les choses se tassent, puis un après-midi je rencontrai le patron sur la place et il avait l’air préoccupé. « J’aimerais bien que tu viennes voir ce navire dans mon champ, il m’a dit, j’ai l’impression qu’il appuie fort sur les navets. Je n’aime pas imaginer ce que la bourgeoise dira quand elle le verra. »
J’ai descendu le chemin avec lui, et comme on pouvait s’y attendre il y avait un navire au beau milieu de son champ, mais le genre de navire qu’aucun homme n’a vu en mer depuis plus de trois cents ans, et encore moins au milieu d’un champ de navets. Il était peint en noir et tout couvert de sculptures et il y avait une grande fenêtre dans la proue, tout à fait comme dans le grand salon du châtelain. Il y avait une grande quantité de courts canons noirs sur le pont et d’autres qui pointaient par les sabords et il était ancré aux deux bouts à la terre ferme. J’ai vu les merveilles du monde sur des cartes postales, mais je n’avais encore jamais rien vu de ce genre.
– Il a l’air très solide pour un navire fantôme, j’ai dit en voyant que le patron avait l’air embêté.
– Ca m’a l’air d’être entre les deux, il a répondu les sourcils froncés, mais ça risque d’abîmer environ cinquante navets, et la patronne va vouloir qu’on le déplace.
On est allés jusqu’au navire et on a touché la coque, elle était aussi dure que celle d’un vrai navire.
– Il y a des gens en Angleterre qui appelleraient ça très étrange, il a dit.
Je n’y connais pas grand-chose aux navires, mais je pense que ce navire fantôme-là devait peser ses deux cents tonnes et j’avais bien l’impression qu’il était là pour durer. Ca m’a rendu désolé pour le patron, qui était un homme marié.
– Tous les chevaux de Fairfield n’arriveront pas à l’enlever de mes navets, il a dit d’un air pas content.
A ce moment on a entendu du bruit sur le pont et on a regardé vers le haut, et on a vu qu’un homme était sorti de la cabine avant et qu’il nous contemplait d’en haut d’un air tout à fait paisible. Il était vêtu d’un uniforme noir incrusté de dentelles d’or passé et il portait un énorme sabre au côté dans un fourreau en cuivre.


A suivre...

(Richard Middleton, The Ghost Ship, 1912, traduction Pascale Renaud-Grosbras)

2 commentaires:

Pascale a dit…

Pour Fredo...

Anonyme a dit…

hello...... à bientôt (peut être) au café clochette !!!! qui sait ! si ma route me fait faire une halte à Rennes, bientôt

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