Après avoir raboté, poncé et verni mes chiffres, j'ai dû tout recommencer à zéro. Trois fois. Au moins. Parce que les tableaux c'est fantastique, mais dès qu'on bouge un truc dans un coin, ça fait bouger plein d'autres trucs dans les autres coins, forcément. Et quand on a bien raboté, poncé, etc. et qu'il faut tout recommencer, au bout du bout ça lasse un peu. Mais je suis devenue super forte en menuiserie de chiffres, enfin je crois. Les tourill... le tourillonag... les chevilles de fixation de chiffres n'ont plus de secret pour moi. Quoi que ça veuille dire.
Mais il me restait à fignoler mes plans d'aménagement. Intérieur, je veux dire. Les meubles, les murs, le sol, tout ça. Je me suis mise à crayonner comme une petite folle, j'avais des petits bouts de papier partout dans la maison. Surtout pour la cuisine, parce qu'elle est toute petite ma cuisine et qu'il faut arriver à y caser un certain nombre de... choses. Des trucs et des machins. Certains à brancher à l'électricité, d'autres à l'eau, d'autres à mettre tout près de la cuisinière, d'autres en hauteur, prévoir des surfaces lisses, des couleurs unies, le tout joli quand même parce que c'est mon outil de travail et qu'il vaut mieux ne pas s'en lasser trop vite. Dame, ça faisait un bon moment que j'en rêvais de cet aménagement intérieur qui allait faire passer cette maison de résidence familiale tout à fait ordinaire à lieu expérimental à vocation de commerce de bouche. C'est étrangement imagé cette expression, vous ne trouvez pas ? "Commerce de bouche" : dans le même ordre d'idée, commerce de cheveux c'est le coiffeur et commerce d'oeil l'opticien, sauf que ça ne se dit pas.
Vous ne le saviez peut-être pas, mais pour ouvrir un commerce de bouche, il faut montrer patte blanche aux services vétérinaires. Je me suis donc rendue, un certain matin de mars, voir le Chef technicien du Service Sécurité Sanitaire des aliments, mon petit plan de cuisine tout bichonné sous le bras et la truffe frétillante, un tantinet inquiète toutefois à l'idée de ne strictement rien connaître au monde vétérinaire (si l'on excepte la visite annuelle chez le "docoteur des chats", mais je vous en parlerai une autre fois).
C'est pas gai-gai, les services vétérinaires de la ville de Rennes, ou était-ce le temps décidément grisâtre ? Sur les quelques marches du perron, une brochette de blouses blanches en train d'en griller une, l'air sombre. A l'accueil, un grand gars imposant que j'eusse plutôt imaginé en train de saisir à pleines mains la crinière d'un cheval rétif que les doigts recroquevillés sur les touches minuscules d'un ordinateur qu'il contemplait d'un sale oeil. Oeil qu'il leva sur moi au bout d'un moment. Il avait le regard d'un agneau nouveau-né. Tout surpris d'être là, tout laineux, tout doux, avec des cils partout. Et une voix d'ogre, allez comprendre.
- Bonjour, j'ai dit.
- Bonjour, il a grondé.
- Je viens rencontrer un vétérinaire pour le Café Clochette, Clochette c'est mon chat, j'ouvre un café pour les enfants, j'ai besoin d'une cuisine et on m'a dit qu'il fallait venir vous voir.
Il m'a regardée. Et il a attendu, comme si je n'avais pas fini ma phrase.
- Euh, voilà quoi, j'ai dit.
- Ah ? il a répondu.
- Ben oui, j'ai dit.
Il a tendu la main vers son téléphone et puis il a suspendu son geste et il a demandé :
- Qu'est-ce que vous avez dit, déjà ?
J'ai le plus grand respect pour les professions médicales, mais il faut bien avouer que parfois, il faut leur expliquer longtemps. Non... ? Enfin bref.
J'ai recommencé en racontant un peu plus en détail, avec les tenants, les aboutissants et ma cuisine et il a tout bien compris ce que je disais. Les professions médicales, les gens savent écouter quand même, vous ne trouvez pas ? Hum ?
Il a tendu la main vers son téléphone, cette fois il l'a saisi et avec sa grosse voix il a annoncé à Mme E. que quelqu'un voulait la voir. Ce n'était pas totalement exact parce que j'aurais préféré continuer à causer avec lui qui avait l'air de si bien comprendre ce que je racontais, mais bon, le travail c'est le travail, allons rencontrer Mme E., me suis-je dit.
J'ai donc laissé le gentil monsieur au regard d'agneau égaré retourner à ses touches et j'ai suivi Mme E. qui était aimablement venue me chercher à l'accueil. C'est en arrivant devant sa porte et en voyant sa carte punaisée dessus que je me suis aperçue que c'était elle, le Chef technicien du Service Sécurité Sanitaire des aliments, ou du moins sa représentante, et j'ai été très impressionnée.
D'autant qu'elle ressemblait aux gerbilles de ma copine Nathalie et que moi, les gerbilles, ça m'impressionne. Pas vous ? on dirait qu'elles ont décidé qu'elles ne seraient ni un hamster ni une souris, mais qu'elles voulaient bien être un mélange des deux et une telle force de caractère, moi, ça m'impressionne. (Oui, il m'arrive de dire n'importe quoi mais vu qu'ici j'ai le droit, il m'arrive d'en profiter. Et toc.) Donc face à une gerbille, je m'écrase.
- Alors, vous venez pour quoi, qu'elle a dit de sa petite voix de gerbille gentille.
- Pour ma cuisine, m'dame, que j'ai dit.
- Mmmh, je vois, qu'elle a dit. Vous avez un souci de rongeurs chez vous ?
- Ah non, ah non, pas du tout, c'est pas du tout un souci les rongeurs, enfin je veux dire pas chez moi, enfin je veux dire c'est pas un souci chez moi, enfin je veux dire non merci, je n'ai pas de rongeurs chez moi.
Elle aussi, elle m'a regardée comme si je n'avais pas fini ma phrase. Elle n'aurait pas ressemblé à une gerbille, ça m'aurait un peu agacée.
Alors j'ai tout repris depuis le début et elle aussi elle a fini par tout bien comprendre ce que je lui disais. Gerbille ou pas gerbille, en fait elle n'était pas si impressionnante que ça quand on la connaissait un peu. Elle a sorti son porte-mine très élégant pour crayonner mon plan et me suggérer de mettre ce qui était à droite à gauche et inversement, à l'exception de ce qui était au milieu, qui pourrait plutôt aller sur le mur de droite, tandis que le mur de gauche devrait être carrelé, elle a été très claire là-dessus. Ca-rre-lé. Pour l'hygiène. Après avoir tout bien crayonné mon plan, elle a fait une photocopie, m'a recommandé une dernière fois de mettre du carrelage "PARTOUT, vous comprenez, c'est important", et m'a annoncé qu'en ce qui la concernait, je pourrais avoir un avis positif sur plan. Un avis positif sur plan, c'est quand les services vétérinaires se contentent de crayonner les plans des gens et s'abstiennent de venir crayonner leur cuisine en vrai aussi.
J'ai remercié Mme E., j'ai récupéré mon plan, sa carte de visite (pas celle de la porte, elle m'en a donné une toute neuve rien que pour moi), mon sac d'où s'étaient échappés quelques morceaux de sucre et autres graines à oiseau (ne me demandez pas pourquoi, ça fait partie de ma névrose personnelle) et j'ai redescendu l'escalier jusqu'à l'accueil. Le gentil monsieur était encore là et il m'a regardée arriver avec son regard noir, rapport sans doute à ce qu'il venait de voir sur son écran, mais il s'est radouci quand il m'a reconnue et il a demandé "alors, ça s'est bien passé avec Mme E. ?" avec sa grosse voix de loup. "Oui, oui, très bien" j'ai dit distraitement en cherchant mes clés dans mon sac. "J'ai aucun problème avec les petits animaux."
Il y a eu comme un blanc. Quand j'ai eu trouvé mes clés et que j'ai relevé le nez, je l'ai surpris à me considérer comme si j'étais une variété étonnante de phasme exotique encore inconnu de la science vétérinaire contemporaine et j'ai craint une seconde qu'il ne tente de me capturer avec un grand filet à papillons. Mais non, il a juste froncé ses sombres longs sourcils et il m'a souhaité une bonne journée, alors je suis retournée vers mon sympathique destin.
Pfiou. Ca c'était bien passé tout compte fait, mais à un moment j'avais eu l'impression de passer à un poil de me rendre ridicule. Allez savoir pourquoi.
Mais il me restait à fignoler mes plans d'aménagement. Intérieur, je veux dire. Les meubles, les murs, le sol, tout ça. Je me suis mise à crayonner comme une petite folle, j'avais des petits bouts de papier partout dans la maison. Surtout pour la cuisine, parce qu'elle est toute petite ma cuisine et qu'il faut arriver à y caser un certain nombre de... choses. Des trucs et des machins. Certains à brancher à l'électricité, d'autres à l'eau, d'autres à mettre tout près de la cuisinière, d'autres en hauteur, prévoir des surfaces lisses, des couleurs unies, le tout joli quand même parce que c'est mon outil de travail et qu'il vaut mieux ne pas s'en lasser trop vite. Dame, ça faisait un bon moment que j'en rêvais de cet aménagement intérieur qui allait faire passer cette maison de résidence familiale tout à fait ordinaire à lieu expérimental à vocation de commerce de bouche. C'est étrangement imagé cette expression, vous ne trouvez pas ? "Commerce de bouche" : dans le même ordre d'idée, commerce de cheveux c'est le coiffeur et commerce d'oeil l'opticien, sauf que ça ne se dit pas.
Vous ne le saviez peut-être pas, mais pour ouvrir un commerce de bouche, il faut montrer patte blanche aux services vétérinaires. Je me suis donc rendue, un certain matin de mars, voir le Chef technicien du Service Sécurité Sanitaire des aliments, mon petit plan de cuisine tout bichonné sous le bras et la truffe frétillante, un tantinet inquiète toutefois à l'idée de ne strictement rien connaître au monde vétérinaire (si l'on excepte la visite annuelle chez le "docoteur des chats", mais je vous en parlerai une autre fois).
C'est pas gai-gai, les services vétérinaires de la ville de Rennes, ou était-ce le temps décidément grisâtre ? Sur les quelques marches du perron, une brochette de blouses blanches en train d'en griller une, l'air sombre. A l'accueil, un grand gars imposant que j'eusse plutôt imaginé en train de saisir à pleines mains la crinière d'un cheval rétif que les doigts recroquevillés sur les touches minuscules d'un ordinateur qu'il contemplait d'un sale oeil. Oeil qu'il leva sur moi au bout d'un moment. Il avait le regard d'un agneau nouveau-né. Tout surpris d'être là, tout laineux, tout doux, avec des cils partout. Et une voix d'ogre, allez comprendre.
- Bonjour, j'ai dit.
- Bonjour, il a grondé.
- Je viens rencontrer un vétérinaire pour le Café Clochette, Clochette c'est mon chat, j'ouvre un café pour les enfants, j'ai besoin d'une cuisine et on m'a dit qu'il fallait venir vous voir.
Il m'a regardée. Et il a attendu, comme si je n'avais pas fini ma phrase.
- Euh, voilà quoi, j'ai dit.
- Ah ? il a répondu.
- Ben oui, j'ai dit.
Il a tendu la main vers son téléphone et puis il a suspendu son geste et il a demandé :
- Qu'est-ce que vous avez dit, déjà ?
J'ai le plus grand respect pour les professions médicales, mais il faut bien avouer que parfois, il faut leur expliquer longtemps. Non... ? Enfin bref.
J'ai recommencé en racontant un peu plus en détail, avec les tenants, les aboutissants et ma cuisine et il a tout bien compris ce que je disais. Les professions médicales, les gens savent écouter quand même, vous ne trouvez pas ? Hum ?
Il a tendu la main vers son téléphone, cette fois il l'a saisi et avec sa grosse voix il a annoncé à Mme E. que quelqu'un voulait la voir. Ce n'était pas totalement exact parce que j'aurais préféré continuer à causer avec lui qui avait l'air de si bien comprendre ce que je racontais, mais bon, le travail c'est le travail, allons rencontrer Mme E., me suis-je dit.
J'ai donc laissé le gentil monsieur au regard d'agneau égaré retourner à ses touches et j'ai suivi Mme E. qui était aimablement venue me chercher à l'accueil. C'est en arrivant devant sa porte et en voyant sa carte punaisée dessus que je me suis aperçue que c'était elle, le Chef technicien du Service Sécurité Sanitaire des aliments, ou du moins sa représentante, et j'ai été très impressionnée.
D'autant qu'elle ressemblait aux gerbilles de ma copine Nathalie et que moi, les gerbilles, ça m'impressionne. Pas vous ? on dirait qu'elles ont décidé qu'elles ne seraient ni un hamster ni une souris, mais qu'elles voulaient bien être un mélange des deux et une telle force de caractère, moi, ça m'impressionne. (Oui, il m'arrive de dire n'importe quoi mais vu qu'ici j'ai le droit, il m'arrive d'en profiter. Et toc.) Donc face à une gerbille, je m'écrase.
- Alors, vous venez pour quoi, qu'elle a dit de sa petite voix de gerbille gentille.
- Pour ma cuisine, m'dame, que j'ai dit.
- Mmmh, je vois, qu'elle a dit. Vous avez un souci de rongeurs chez vous ?
- Ah non, ah non, pas du tout, c'est pas du tout un souci les rongeurs, enfin je veux dire pas chez moi, enfin je veux dire c'est pas un souci chez moi, enfin je veux dire non merci, je n'ai pas de rongeurs chez moi.
Elle aussi, elle m'a regardée comme si je n'avais pas fini ma phrase. Elle n'aurait pas ressemblé à une gerbille, ça m'aurait un peu agacée.
Alors j'ai tout repris depuis le début et elle aussi elle a fini par tout bien comprendre ce que je lui disais. Gerbille ou pas gerbille, en fait elle n'était pas si impressionnante que ça quand on la connaissait un peu. Elle a sorti son porte-mine très élégant pour crayonner mon plan et me suggérer de mettre ce qui était à droite à gauche et inversement, à l'exception de ce qui était au milieu, qui pourrait plutôt aller sur le mur de droite, tandis que le mur de gauche devrait être carrelé, elle a été très claire là-dessus. Ca-rre-lé. Pour l'hygiène. Après avoir tout bien crayonné mon plan, elle a fait une photocopie, m'a recommandé une dernière fois de mettre du carrelage "PARTOUT, vous comprenez, c'est important", et m'a annoncé qu'en ce qui la concernait, je pourrais avoir un avis positif sur plan. Un avis positif sur plan, c'est quand les services vétérinaires se contentent de crayonner les plans des gens et s'abstiennent de venir crayonner leur cuisine en vrai aussi.
J'ai remercié Mme E., j'ai récupéré mon plan, sa carte de visite (pas celle de la porte, elle m'en a donné une toute neuve rien que pour moi), mon sac d'où s'étaient échappés quelques morceaux de sucre et autres graines à oiseau (ne me demandez pas pourquoi, ça fait partie de ma névrose personnelle) et j'ai redescendu l'escalier jusqu'à l'accueil. Le gentil monsieur était encore là et il m'a regardée arriver avec son regard noir, rapport sans doute à ce qu'il venait de voir sur son écran, mais il s'est radouci quand il m'a reconnue et il a demandé "alors, ça s'est bien passé avec Mme E. ?" avec sa grosse voix de loup. "Oui, oui, très bien" j'ai dit distraitement en cherchant mes clés dans mon sac. "J'ai aucun problème avec les petits animaux."
Il y a eu comme un blanc. Quand j'ai eu trouvé mes clés et que j'ai relevé le nez, je l'ai surpris à me considérer comme si j'étais une variété étonnante de phasme exotique encore inconnu de la science vétérinaire contemporaine et j'ai craint une seconde qu'il ne tente de me capturer avec un grand filet à papillons. Mais non, il a juste froncé ses sombres longs sourcils et il m'a souhaité une bonne journée, alors je suis retournée vers mon sympathique destin.
Pfiou. Ca c'était bien passé tout compte fait, mais à un moment j'avais eu l'impression de passer à un poil de me rendre ridicule. Allez savoir pourquoi.
10 commentaires:
Je me délecte de ton écriture! Merci!!!
Tu veux que je te dise ??? le café clochette n'est pas encore ouvert mais c'est déjà une vraie jubilation de lire tes péripéties !! non pas que je t'en souhaite d'autres hein, si la route pouvait devenir moins compliquée à suivre maintenant ça serait chouette pour toi... Mais en tout cas, te lire est un vrai bonheur ! tu vas me manquer pendant mes vacances :-D
Et alors ce carrelage, quelle couleur ?
Tu en a fait de ces rencontres !
tu pourrais presque écrire un bouquin à la fin de cette aventure...
je rigole toute seule devant mon écran!!!
mauvaise manip, l'anonyme c'était moi
Amandine : j'en ai autant pour vous, chère amie !
Fredo : bonnes vacances...
Magali : je pensais à du jaune poussin.
Juliette : merci, je pourrais éventuellement me reconvertir alors, si les gâteaux ne marchent pas !
PS Magali : ... ou du beige taupe. J'hésite.
Taupe, je préfère, moi, plus doux, plus tendre, moins piailleur, plus discrètement coquin, et puis ne crois-tu pas que ce serait plus assorti à tes tasses anglaises ? Ah sinon, oui, en effet, tu pourrais sans souci dévirtualiser ton écriture, ma belle !
Ah les gerbilles, ben oui, il fallait bien en parler puisque tu as eu la grande gentillesse de veiller sur elles pendant nos vacances landaises et bretonnes!! Quel plaisir de te lire!! Bon, j'ai déjà vu quelqu'un avec des yeux d'agneau mais une dame avec une tête de gerbille : ma curiosité s'enflamme!!
Vanille et Cacahouète sont fières de t'annoncer qu'elles ont fondé une grande famille : au moins 5 comptés!!
Biz et merci
nathalie et les HC2E
Ca alors ! c'est peut-être une maternité pour gerbilles que je devrais ouvrir !
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