Pour monter un plan de financement digne de ce nom (non, un plan de financement n'est pas une race particulièrement coriace de mustang, c'est la liste en deux colonnes des sous qu'on a prévu de mettre dans l'entreprise et des sous qu'on a prévu de dépenser pour ouvrir l'entreprise ; il faut que ça s'équilibre), pour monter, donc un plan de financement digne de ce nom, il faut à un moment ou à un autre faire la liste de toutes les dépenses prévues. L'équipement, les meubles, les frais de création et... les travaux. Autant j'aime patouiller dans la peinture et bricoler des étagères rigolotes, autant les mystères de la plomberie sont pour moi bien trop sacrés pour que je me risque à les déflorer en allant y voir de trop près. Total respect pour la plomberie, man.
Donc il a bien fallu envisager de faire venir un artisan pour faire faire un devis pour la plomberie. Il se trouve qu'une de mes amies tient un salon de thé et qu'elle m'a recommandé le plombier qui s'est occupé de sa cuisine. J'ai donc appelé, le plus poliment du monde, ce monsieur qui touche aux grandes vérités de la Tuyauterie et des Arrivées d'eau et je lui ai demandé s'il aurait l'auguste amabilité de me gratifier d'une visite afin de discuter de l'incarnation (grossière, certes) de son art en ma demeure. J'eus l'heur de l'entendre me répondre que "oui, pas de problème". C'était une réponse un rien laïque pour un grand-prêtre de son acabit mais, ma foi, les ecclésiastiques du grand-art plombier sont fort simples de nos jours, me dis-je, ravie.
Il vint. Il regarda. Considéra. Mesura. Griffonna. Re-mesura. Arpenta. Se baissa, se haussa. S'étira pour voir au-dessus du frigo, tapota les robinets, fit résonner les tuyaux. Moi je tenais l'encensoir : une lampe de poche hélas fort ordinaire mais utile pour regarder sous les meubles, et je le suivais sans faire de bruit pour ne pas déranger Son Eminence de la Pince à Recourber le Cuivre (ça existe, ça, une pince à recourber le cuivre ?). Il n'arrêtait pas de faire "hum hum, je vois, parfait, impeccable", ce que je prenais pour un bon signe.
Cette belle entente s'est gâtée quand j'ai commencé à lui expliquer ce que je voulais faire. "Là, il y aura les sanitaires". "Mais Madame, c'est un placard." "Oui, pour l'instant, mais grâce à vous..." "Mais, et les tuyaux, ils vont passer où ?" (Moi, un brin soucieuse tout à coup.) "Euh, en dessous ?" Là, et c'est à ça qu'on voit que c'était bien un saint homme, il s'est tu et il a réfléchi. Seulement, au lieu de considérer le placard, il s'est mis à me considérer, moi. C'est agaçant comme les gens vous dévisagent, des fois, vous ne trouvez pas ?
Enfin il a été formidable, il a trouvé le moyen de faire passer les tuyaux. En dessous. J'étais pas peu fière, je peux vous dire, d'avoir prévu comment l'Homme de l'Art allait s'y prendre pour faire passer ses augustes tuyaux. Enfin non, mes augustes tuyaux, mais tout le mérite lui en reviendra, je vous assure.
L'autre moment où on a frôlé l'incident, c'est quand j'ai suggéré qu'il saurait sûrement, lui, dans sa grande sagesse, comment s'y prendre pour mettre les éléments de droite à gauche et les éléments de gauche à droite. Il a regardé le mur de gauche. Puis il a regardé le mur de droite. Puis il a regardé très très vite de gauche à droite et de droite à gauche. Et puis il a demandé "quels éléments ?" Et j'ai dû lui expliquer que c'était une vue de l'esprit bien sûr, vu que pour l'instant il n'y avait rien, mais que mon plan du vétérinaire avait été tout griffonné par une gerbille et que quand même c'était pas simple cette histoire de gauche à droite, non ? Il a été très bien. Il a soupiré tout doucement et il a dit, "en effet, ça a l'air compliqué". Et au bout du bout, il a fait preuve de la grande sagesse dont je pressentais qu'il était débordant pour m'expliquer comment on allait faire, au final, pour mettre les éléments de gauche à droite et ceux de droite à gauche, à l'aide d'une arrivée d'eau supplémentaire, d'un bloc de prise dans ce coin-là et d'acrobaties inévitables pour ranger la vaisselle du lave-vaisselle dans le meuble à vaisselle. Mais, a-t-il dit, "on verra quand on y sera, pour l'instant on va créer cette cuisine". Il est sage, ce plombier.
Avec Mister E., menuisier de son état, je vécus une expérience des plus aimables et des plus reposantes. Mister E., non content d'être selon toute probabilité un excellent menuisier (il m'a montré un "book" avec ses réalisations et j'ai été dûment impressionnée), est aussi un jeune homme qui sait écouter ses clients potentiels. Autant dire qu'avec moi, même s'il avait parfois l'air un peu congestionné quand je parlais de contreplaqué à la place de triply ou de truc vertical à la place de montant, il a été parfait. Il s'est contenté de retraduire en langage haddock (un peu sec mais très goûtu) ce que je lui disais dans mon langage à moi (plutôt sardine à l'huile que filet de flétan - ça va, vous suivez ?). Il m'a expliqué aussi qu'il était écolo jusqu'au bout de la perceuse et qu'il n'utilisait que du bois non traité et qu'il ne faisait tourner ses outils électriques qu'avec la plus grande parcimonie : à mon avis, ce monsieur, il a un grand avenir.
Et puis quand il a eu compris le projet, il s'est mis à sautiller sur place comme un lutin enthousiaste et à avoir des tas d'idées que même moi avec mon cerveau délirant, elles ne m'étaient pas apparues : une déco "coin du bois" avec des sanitaires en forme de cabane en rondin, des feuilles de lierre partout, un arbre en liège au-dessus de la cabane des petits, des meubles en bois qui se fondent dans le décor. J'avais trouvé plus fort que moi en matière de créativité débridée et qu'est-ce que c'est reposant de voir quelqu'un d'autre turbiner et de se contenter de s'exclamer "ah oui j'aime bien", "vous croyez vraiment qu'on peut faire ça ?", "excellente idée, allons-y"... Le meilleur moment, ça a été le remodelage de la courette, avec force plancher en bois, coffre à bambous et recoin mystérieux pour une petite table. Cet homme, moi je l'admire. Merci, Mister E. J'espère que vous viendrez très bientôt faire de ces beaux rêves une réalité.
Sur les autres fronts, tout allait aussi bien que possible. Mister C. faisait des tableaux magnifiques, pour de vrai, avec mes tableaux magnifiques qui ne tenaient pas la comparaison. Et puis, sur les conseils d'une amie restauratrice, j'étais allée voir un organisme de financement solidaire qui s'appelait Presol et où une jeune femme charmante m'avait reçue, avait pris le temps d'éplucher mon projet en long, en large et en travers et m'avait posé des tas de questions toutes plus pertinentes les unes que les autres. C'est dire que je me suis remise au travail sérieusement en développant ici une idée, là un chiffre, et mon projet que je croyais abouti en a pris une nouvelle fraîcheur. Ca me donnait presque envie de faire la connaissance de la personne qui l'avait pondu, tiens. Au bout du bout de ces cogitations, j'ai présenté le dossier à une commission composée de plein de messieurs qui m'ont regardée d'un air surpris (encore, oui, je sais) mais ont cru bon néanmoins de m'octroyer des sous pour commencer l'aventure. Youpi ! trois fois youpi !
A ceci près que c'était assujetti à l'obtention d'un prêt bancaire, mais sur le moment ça m'a paru d'une grande banalité et l'affaire d'une simple formalité. Comme on est naïf, hein, quand on n'y connaît rien...
La suite au prochain numéro...
Donc il a bien fallu envisager de faire venir un artisan pour faire faire un devis pour la plomberie. Il se trouve qu'une de mes amies tient un salon de thé et qu'elle m'a recommandé le plombier qui s'est occupé de sa cuisine. J'ai donc appelé, le plus poliment du monde, ce monsieur qui touche aux grandes vérités de la Tuyauterie et des Arrivées d'eau et je lui ai demandé s'il aurait l'auguste amabilité de me gratifier d'une visite afin de discuter de l'incarnation (grossière, certes) de son art en ma demeure. J'eus l'heur de l'entendre me répondre que "oui, pas de problème". C'était une réponse un rien laïque pour un grand-prêtre de son acabit mais, ma foi, les ecclésiastiques du grand-art plombier sont fort simples de nos jours, me dis-je, ravie.
Il vint. Il regarda. Considéra. Mesura. Griffonna. Re-mesura. Arpenta. Se baissa, se haussa. S'étira pour voir au-dessus du frigo, tapota les robinets, fit résonner les tuyaux. Moi je tenais l'encensoir : une lampe de poche hélas fort ordinaire mais utile pour regarder sous les meubles, et je le suivais sans faire de bruit pour ne pas déranger Son Eminence de la Pince à Recourber le Cuivre (ça existe, ça, une pince à recourber le cuivre ?). Il n'arrêtait pas de faire "hum hum, je vois, parfait, impeccable", ce que je prenais pour un bon signe.
Cette belle entente s'est gâtée quand j'ai commencé à lui expliquer ce que je voulais faire. "Là, il y aura les sanitaires". "Mais Madame, c'est un placard." "Oui, pour l'instant, mais grâce à vous..." "Mais, et les tuyaux, ils vont passer où ?" (Moi, un brin soucieuse tout à coup.) "Euh, en dessous ?" Là, et c'est à ça qu'on voit que c'était bien un saint homme, il s'est tu et il a réfléchi. Seulement, au lieu de considérer le placard, il s'est mis à me considérer, moi. C'est agaçant comme les gens vous dévisagent, des fois, vous ne trouvez pas ?
Enfin il a été formidable, il a trouvé le moyen de faire passer les tuyaux. En dessous. J'étais pas peu fière, je peux vous dire, d'avoir prévu comment l'Homme de l'Art allait s'y prendre pour faire passer ses augustes tuyaux. Enfin non, mes augustes tuyaux, mais tout le mérite lui en reviendra, je vous assure.
L'autre moment où on a frôlé l'incident, c'est quand j'ai suggéré qu'il saurait sûrement, lui, dans sa grande sagesse, comment s'y prendre pour mettre les éléments de droite à gauche et les éléments de gauche à droite. Il a regardé le mur de gauche. Puis il a regardé le mur de droite. Puis il a regardé très très vite de gauche à droite et de droite à gauche. Et puis il a demandé "quels éléments ?" Et j'ai dû lui expliquer que c'était une vue de l'esprit bien sûr, vu que pour l'instant il n'y avait rien, mais que mon plan du vétérinaire avait été tout griffonné par une gerbille et que quand même c'était pas simple cette histoire de gauche à droite, non ? Il a été très bien. Il a soupiré tout doucement et il a dit, "en effet, ça a l'air compliqué". Et au bout du bout, il a fait preuve de la grande sagesse dont je pressentais qu'il était débordant pour m'expliquer comment on allait faire, au final, pour mettre les éléments de gauche à droite et ceux de droite à gauche, à l'aide d'une arrivée d'eau supplémentaire, d'un bloc de prise dans ce coin-là et d'acrobaties inévitables pour ranger la vaisselle du lave-vaisselle dans le meuble à vaisselle. Mais, a-t-il dit, "on verra quand on y sera, pour l'instant on va créer cette cuisine". Il est sage, ce plombier.
Avec Mister E., menuisier de son état, je vécus une expérience des plus aimables et des plus reposantes. Mister E., non content d'être selon toute probabilité un excellent menuisier (il m'a montré un "book" avec ses réalisations et j'ai été dûment impressionnée), est aussi un jeune homme qui sait écouter ses clients potentiels. Autant dire qu'avec moi, même s'il avait parfois l'air un peu congestionné quand je parlais de contreplaqué à la place de triply ou de truc vertical à la place de montant, il a été parfait. Il s'est contenté de retraduire en langage haddock (un peu sec mais très goûtu) ce que je lui disais dans mon langage à moi (plutôt sardine à l'huile que filet de flétan - ça va, vous suivez ?). Il m'a expliqué aussi qu'il était écolo jusqu'au bout de la perceuse et qu'il n'utilisait que du bois non traité et qu'il ne faisait tourner ses outils électriques qu'avec la plus grande parcimonie : à mon avis, ce monsieur, il a un grand avenir.
Et puis quand il a eu compris le projet, il s'est mis à sautiller sur place comme un lutin enthousiaste et à avoir des tas d'idées que même moi avec mon cerveau délirant, elles ne m'étaient pas apparues : une déco "coin du bois" avec des sanitaires en forme de cabane en rondin, des feuilles de lierre partout, un arbre en liège au-dessus de la cabane des petits, des meubles en bois qui se fondent dans le décor. J'avais trouvé plus fort que moi en matière de créativité débridée et qu'est-ce que c'est reposant de voir quelqu'un d'autre turbiner et de se contenter de s'exclamer "ah oui j'aime bien", "vous croyez vraiment qu'on peut faire ça ?", "excellente idée, allons-y"... Le meilleur moment, ça a été le remodelage de la courette, avec force plancher en bois, coffre à bambous et recoin mystérieux pour une petite table. Cet homme, moi je l'admire. Merci, Mister E. J'espère que vous viendrez très bientôt faire de ces beaux rêves une réalité.
Sur les autres fronts, tout allait aussi bien que possible. Mister C. faisait des tableaux magnifiques, pour de vrai, avec mes tableaux magnifiques qui ne tenaient pas la comparaison. Et puis, sur les conseils d'une amie restauratrice, j'étais allée voir un organisme de financement solidaire qui s'appelait Presol et où une jeune femme charmante m'avait reçue, avait pris le temps d'éplucher mon projet en long, en large et en travers et m'avait posé des tas de questions toutes plus pertinentes les unes que les autres. C'est dire que je me suis remise au travail sérieusement en développant ici une idée, là un chiffre, et mon projet que je croyais abouti en a pris une nouvelle fraîcheur. Ca me donnait presque envie de faire la connaissance de la personne qui l'avait pondu, tiens. Au bout du bout de ces cogitations, j'ai présenté le dossier à une commission composée de plein de messieurs qui m'ont regardée d'un air surpris (encore, oui, je sais) mais ont cru bon néanmoins de m'octroyer des sous pour commencer l'aventure. Youpi ! trois fois youpi !
A ceci près que c'était assujetti à l'obtention d'un prêt bancaire, mais sur le moment ça m'a paru d'une grande banalité et l'affaire d'une simple formalité. Comme on est naïf, hein, quand on n'y connaît rien...
La suite au prochain numéro...
6 commentaires:
D'ici ça va on suit, même si un brin fatiguée, on a l'oeil qui cille sur quelques mots et qu'on transforme "créativité débridée" en "créativité d'ébriété" - quoi ? qu'ouïs-je ??? mais non, je n'ai rien bu... j'ai juste des séquelles de mon bong contre la grande vitre de la véranda... Bling blang !
Je suis, je suis et je suis surtout admirative!!! C'est que c'est bien compliqué à mettre en place ton affaire, il en faut de l'énergie (et de l'humour).Dire que moi je ne dors plus à l'idée de passer du salariat au libéral. J'ai honte....
B.E.M.: ouille... ça va mieux ce matin ?! Ebriété ? comme dirait un héros de Patrick Cauvin, le héros de ma jeunesse, "Je ne suis pas encore alcoolique, je dois manquer d'imagination." Celui ou celle qui retrouve la citation exacte gagne son poids en peanut brittle.
Juliette : ben je te comprends, je suis passée par là aussi... dans une vie précédente ! Comme quoi on trouve toujours à se procurer des moyens d'insomnie encore inusités. Bon courage !
Ah, que de saveurs dans tes articles... Toute une poésie.
Oui oui ça existe les outils à plier le cuivre et même qu'il faut être vachement costaud pour y arriver ;-)
A l'occasion, il m'intéresse le nom de Mister E.
Bises
Magali : ça alors, si ça existe ! Je t'envoie les coordonnées de Mister E., un monsieur très bien, salue-le de ma part si tu veux bien.
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