vendredi 19 février 2010

Un plomb dans la plume

Il suffit de débrancher et de rebrancher, qu'il m'a dit au bout du fil, le technicien de Monsieur d'Arthy. Le fil de la cuisinière étant branché directement dans le mur, je ne pouvais ni débrancher ni rebrancher, mais l'homme de l'art avait prévu ce cas de figure et m'a orientée vers le tableau électrique, "il suffit de faire sauter le plomb", qu'il a dit, le monsieur.
Pour accéder au tableau électrique, au Café Clochette, il faut attendre que tous les petits aient déserté le coin jeu, parce qu'il est pile au-dessus. Pour que les petits désertent le coin jeu, il faut attendre que le Café soit fermé. Pour ouvrir la porte qui dissimule le tableau électrique, il faut un couteau solide. Pour utiliser le couteau solide afin d'ouvrir la porte qui dissimule le tableau électrique, il faut faire levier. Pour faire levier pour utiliser le couteau solide afin d'ouvrir la porte qui dissimule le tableau électrique, il faut y aller en douceur, trèèèèès en douceur. Ce qui explique que je me sois gavée de granules d'arnica peu après avoir tenté la manoeuvre. Une fois l'accès libéré, il suffisait, disait le monsieur, de baisser le plomb correspondant à la cuisinière.
(Grand silence blanc des steppes sibériennes.)
Aucun plomb ne portait la mention "cuisinière". Il y avait le circuit électrique de la SdB, l'éclairage général, la chaudière et deux ou trois autres choses fort utiles, mais de plomb dédié à la cuisinière, point. Je les ai quand même essayés tous, les uns après les autres, provoquant dans les étages des biiips indignés des réveils qui se remettaient en marche, mais la cuisinière, aux dires de MiniLoup propulsé guetteur en chef d'extinction des lumières de la cuisinière, n'était nulle part connectée à un plomb sur ce tableau-là. Grand moment de solitude face à la technique. Regrets profonds de ne plus avoir d'âtre noircie par la fumée où concocter mes cuisinages quotidiens. Vague nostalgie de mes anciens métiers. Soupir.
C'est un client, heureux homme à l'intelligence affûtée, qui s'était attardé pour une histoire d'urgence pâtissière à destination d'une petite fille haute comme trois pommes, qui a eu un trait de génie fulgurant et qui m'a demandé : "vous n'avez pas un autre tableau ?"
(Silence.)
Ah mais si. Maintenant que j'y pense, quand Mister T. a créé la cuisine du Café Clochette, il a effectivement dissimulé un autre tableau sous l'escalier. Lequel doit, forcément, comporter un certain nombre de plombs. Le temps de me regaver de granules après avoir remis, péniblement, la porte au-dessus du coin jeux, vérifié que tous mes doigts sont encore en vague état de marche dans l'espoir de pouvoir éplucher les patates quotidiennes pour la purée au romarin et trouvé une lampe de poche pour une exploration hasardeuse sous l'escalier, le voici le voilà : le deuxième tableau. Mister T., vous êtes un grand homme. En plus, votre spécialité en tant qu'électricien s'appuie sur tout un tas de lettres grecques et pour l'instant, il ne m'en faut pas plus pour avoir confiance en la vie. Bref. MiniLoup, le nez toujours collé au tableau de bord de la cuisinière, attendait patiemment la fin des opérations en grignotant des noix de cajou. On s'est briefé par interpellations successives et paf, on est tombés sur le bon plomb, après avoir interrompu le frigo dans son élan et, sans doute, troublé Tancrède jusqu'aux tréfonds de son petit coeur mécanique.
Un quart d'heure plus tard, preuve était faite que la cuisinière (qui n'a pas de nom, tiens au fait, si mes valeureux lecteurs s'ennuient ces temps-ci, peut-être aimeraient-ils s'aventurer à lui en trouver un ?) ne souffrait que d'un bug électronique et que la coupure lui avait été salvatrice. Les plaques qui s'étaient mises en grève ont repris le collier, celles qui marchaient continuent (et le four, impavide, a cuit sans rouspéter aujourd'hui les cinq fournées de gâteaux du jour). Soulagement général au fond de la cuisine. Et re-granules pour cause de relèvement trop rapide, pile sous un coin de marche de l'escalier. Comme a dit MiniLoup en crachotant des miettes de noix de cajou : "tu vois maman, c'était pas dur, y fallait juste trouver le tromblon".
Enfin il avait raison le monsieur : débrancher et rebrancher, par exemple en quittant les rivages du Café Clochette pour aller prendre l'air ailleurs et de préférence en agréable compagnie, il n'y a rien de mieux pour éviter de faire sauter les plombs de la cafelière. Dont acte, granules et noix de cajou.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Pourquoi pas Charlotte..ou Bibine? (hihihi -pour la cuisinière, pas pour la cafelière!)

et au fait, vive l'Arnicaaaa! :D

cb a dit…

Pour la cuisinière, je n'ai pas d'idée, mais "fourimpavide" va certainement rester pour le mien.

dicisms : ce que l'on peut dire ou pas, en présence de robotique sensible.

BrightEyedMum a dit…

Moi je rigole en lisant (heureusement que t'as pris un couteau et pas une théière !) et je propose Charmaine (la joie en grec, paraît-il, ça te va bien, non ? et à la cuisinière quand ses tromblons sont en place aussi ?)...

Grously : n.m. convive à caractère parfois ursiné mais qui groumphe avec un plaisir non dissimulé devant une assiette de gâteaux sortis du four qui fonctionne...

cb a dit…

tiens, en plus, Charmaine c'est pas la femme d'Arti le cuisinier dans les Soprano(s) ?

aminglin: les amis qu'on voit qu'à la saint glinglin.

Pascale a dit…

cb : je viens de penser à la même chose ! ça tombe plutôt bien... Charmaine ce sera, merci BEM !
Kristina : vive l'arnica, comme tu dis !

milene-micoton a dit…

Ca fait un peu mamie tromblon tout ça :)
heureuse que tu aies survécu. On rentre de vacances bientôt alors profite bien de ton week-end !

BrightEyedMum a dit…

Yeah cool ! même sans faire exprès je gagne mes galons de pourvoyeuse de prénom... Est-ce à dire que celui de junior sera le bon ?

les Fannech' a dit…

... jolie expression que voila: "te fais pas péter le tromblon" !

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