Le cinquième soir, lorsque Joe se réveilla comme il le faisait désormais toutes les nuits à minuit, le fantôme était là, l’air complètement abattu et terriblement triste. Il y avait dans ses yeux une lueur de supplication qui toucha mon beau-frère.
« Après tout, se dit-il, peut-être bien que ce pauvre bougre fait de son mieux. Peut-être qu’il a oublié où il l’a mis et qu’il essaye de s’en souvenir. Je vais lui donner une dernière chance. »
Le fantôme eut l’air ravi et plein de reconnaissance lorsqu’il vit Joe s’apprêter à le suivre et il le mena tout droit jusqu’au grenier, où il pointa le doigt vers le toit avant de disparaître.
« Bon, j’espère qu’il a trouvé, cette fois », dit mon beau-frère et, dès le lendemain, ils se mirent au travail pour enlever le toit. Il leur fallut trois jours pour le démonter entièrement et tout ce qu’ils trouvèrent fut un nid d’oiseau. Ils le mirent soigneusement de côté et couvrirent le moulin avec des bâches pour le protéger de l’humidité.
Vous devez vous dire que ça a guéri le pauvre homme et qu’il a renoncé à chercher le trésor. Mais pas du tout. Il disait qu’il y avait forcément quelque chose, sinon le fantôme ne serait pas réapparu tout le temps comme ça ; et que puisqu’il avait déjà fait tout ça, il irait jusqu’au bout et qu’il éluciderait ce mystère, quoi qu’il put lui en coûter.
Nuit après nuit, il sortait du lit et suivait ce vieil escroc spectral partout dans le moulin. Toutes les nuits, le vieil homme indiquait un nouveau recoin et, tous les jours, mon beau-frère s’acharnait à détruire le vieux moulin à l’endroit qui lui avait été indiqué afin de retrouver le trésor. Au bout de trois semaines, il n’y avait plus une seule pièce habitable. Tous les murs avaient été cassés, tous les planchers étaient démontés et tous les plafonds crevés. Et puis, aussi soudainement qu’elles avaient commencé, les visites du fantôme cessèrent et mon beau-frère retrouva toute la paix dont il avait besoin pour reconstruire le bâtiment en prenant son temps.
Qu’est-ce qui a pu pousser ce barbon de revenant à jouer un tour aussi pendable à un honnête contribuable et père de famille, me demanderez-vous – mais c’est précisément ce que je ne sais pas. Certains dirent que le fantôme du vieux sacripant avait fait tout ça pour le punir de ne pas avoir cru en lui dès le début ; d’autres affirmèrent que l’apparition était probablement le fantôme d’un plombier ou d’un vitrier du coin, qui ne pouvait que se délecter de voir une maison massacrée ainsi. Mais personne n’eut jamais la moindre certitude sur le sujet.
Jerome K. Jerome (1859-1927)
« The Haunted Mill, or the Ruined Home » dans Told After Supper (1891)
© Pascale Renaud-Grosbras pour la traduction
« Après tout, se dit-il, peut-être bien que ce pauvre bougre fait de son mieux. Peut-être qu’il a oublié où il l’a mis et qu’il essaye de s’en souvenir. Je vais lui donner une dernière chance. »
Le fantôme eut l’air ravi et plein de reconnaissance lorsqu’il vit Joe s’apprêter à le suivre et il le mena tout droit jusqu’au grenier, où il pointa le doigt vers le toit avant de disparaître.
« Bon, j’espère qu’il a trouvé, cette fois », dit mon beau-frère et, dès le lendemain, ils se mirent au travail pour enlever le toit. Il leur fallut trois jours pour le démonter entièrement et tout ce qu’ils trouvèrent fut un nid d’oiseau. Ils le mirent soigneusement de côté et couvrirent le moulin avec des bâches pour le protéger de l’humidité.
Vous devez vous dire que ça a guéri le pauvre homme et qu’il a renoncé à chercher le trésor. Mais pas du tout. Il disait qu’il y avait forcément quelque chose, sinon le fantôme ne serait pas réapparu tout le temps comme ça ; et que puisqu’il avait déjà fait tout ça, il irait jusqu’au bout et qu’il éluciderait ce mystère, quoi qu’il put lui en coûter.
Nuit après nuit, il sortait du lit et suivait ce vieil escroc spectral partout dans le moulin. Toutes les nuits, le vieil homme indiquait un nouveau recoin et, tous les jours, mon beau-frère s’acharnait à détruire le vieux moulin à l’endroit qui lui avait été indiqué afin de retrouver le trésor. Au bout de trois semaines, il n’y avait plus une seule pièce habitable. Tous les murs avaient été cassés, tous les planchers étaient démontés et tous les plafonds crevés. Et puis, aussi soudainement qu’elles avaient commencé, les visites du fantôme cessèrent et mon beau-frère retrouva toute la paix dont il avait besoin pour reconstruire le bâtiment en prenant son temps.
Qu’est-ce qui a pu pousser ce barbon de revenant à jouer un tour aussi pendable à un honnête contribuable et père de famille, me demanderez-vous – mais c’est précisément ce que je ne sais pas. Certains dirent que le fantôme du vieux sacripant avait fait tout ça pour le punir de ne pas avoir cru en lui dès le début ; d’autres affirmèrent que l’apparition était probablement le fantôme d’un plombier ou d’un vitrier du coin, qui ne pouvait que se délecter de voir une maison massacrée ainsi. Mais personne n’eut jamais la moindre certitude sur le sujet.
Jerome K. Jerome (1859-1927)
« The Haunted Mill, or the Ruined Home » dans Told After Supper (1891)
© Pascale Renaud-Grosbras pour la traduction
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