vendredi 9 juillet 2010

Indigestion

Il arrive que trop de bonnes choses tuent les bonnes choses, et là je ne parle pas de ma vie privée, notez bien, mais de ma marotte, le magazine des CHR de mon coeur, que je me plais habituellement à éplucher et découper en petites rondelles toutes fines avant de les faire revenir au beurre avec une touche de safran, pour la bonne bouche et votre plus grand plaisir. (Si ça vous ennuie que je raconte n'importe quoi, vous êtes en droit de me le dire. Mais avec ménagement, je vous prie, j'ai les nerfs fragiles ces derniers temps.)
Donc, le magazine, là, je me suis plongée dedans dans le but avoué de vous en tirer un petit billet rigolo. Je commençais déjà à pouffer dès l'édito, enfin un peu jaune parce qu'il exposait les démêlés d'un confrère avec une administration et ça m'a rappelé des choses. Cet édito acide, intitulé "Noires ou blanches", n'est pas consacré à la musicologie, mais à la mésaventure d'un célèbre restaurateur. Citations : "dans les instances internationales, les représentants français, dont la suffisance est légendaire, n'hésitent pas à expliquer aux peuplades inférieures, c'est-à-dire au reste de la planète, que nous avons la meilleure administration du monde [...]. Nous avons un très beau cas dont seule notre vénérée bureaucratie est capable : le strict et admirable contrôle que les inspecteurs de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes exercent sur les cartes des restaurants. [Cette mésaventure] illustre les excès d'une administration que l'on croyait délivrée du syndrome de l'infraction permanente. Le seul commentaire qui vient à l'esprit du citoyen contribuable s'inspire du simple bon sens : faut-il mobiliser un tribunal correctionnel (celui d'Albi) pour qu'il se prononce sur l'épouvantable question de l'appellation de "truffé" attribuée à un plat dont l'élément cryptogamique, la truffe en l'occurence, était blanche et non pas noire ?" En effet, la question se pose. Je n'ai pas suivi les derniers développements de cette affaire, mais elle semble avoir suffisamment affecté le restaurateur en question pour qu'il se dise écoeuré et ferme son établissement en attendant d'y voir plus clair. Le plat dont il était question, c'était une "Poitrine de veau farcie et truffée, braisée en cocotte, lard paysan et noix de cajou". Hélas, la truffe en question, bien que bien de chez nous, n'était que blanche, donc. Pourtant, ça avait l'air bon.
Le reste du magazine était consacré au Michelin 2010 et à ses stars. Tiens, par exemple, page 20, le chef de l'Auberge du Vieux Puits, qui vient de décrocher sa troisième étoile, affirme que sa "cuisine est comme un rhinocéros en ballerines". Il aurait peut-être suffi au premier restaurateur de mettre des ballerines à son veau, non ? Sinon, il y avait l'exemple du chef du Sa.Qua.Na à Honfleur, qui vient de recevoir sa deuxième étoile et qui nous propose une recette de "Homard poché au citron vert, feuilles de livèche et coriandre, un bouillon clair à la noix de coco et huile de combava" qui, personnellement, me fait rêver. Encore que j'aimerais être sûre que le citron est bien vert, on ne sait jamais. Un autre chef, de Courchevel, a choisi pour son restaurant des assiettes qui se retournent pour pouvoir les utiliser au dessert, parce qu'il faisait ça quand il était petit. Tiens, moi aussi. Ah, souvenirs. J'ai dû m'égarer cependant en chemin, parce que lui vient d'obtenir ses deux étoiles et nous évoque sa "cuisine vive qui vient de ses artères". Un autre, de Val-Thorens, me plaît bien parce que non content d'avoir gagné récemment sa deuxième étoile, il a un petit garçon de 18 mois et qu'il fait la cuisine pour toute la crèche. "Je fais une cuisine de coeur et ne rate aucun service, dit-il. Je serre la main de mes clients. A l'Oxalys, on ne vient pas manger ma cuisine, on vient manger mon âme." Je suis sûre qu'elle est blanche comme neige.
Quelques pages plus loin, j'aime bien le tout jeune chef de l'Ambrosia, qui dit avoir pleuré d'émotion quand son nouveau four est arrivé dans sa cuisine et qui se dit possédé par le virus de la cuisine gastronomique après avoir commencé en cuisine tout en bas de l'échelle. Son "Agneau en déclinaison cuisiné aux épices marocaines, avec une semoule, des pois chiches en pulpe, un jus de harissa et une écume de merguez" m'a bien l'air, en effet, d'un "couscous version XXIe siècle".
Voilà des gens étonnants. Quelque chose, tout de même, m'a l'air bien curieux. Si les pages de gauche du magazine sont consacrées à tous ces gens épatants (et je n'en cite que quelques-uns parce qu'au bout d'un moment, toutes ces recettes et tous ces beaux visages sous leurs toques blanches, ça fait un peu beaucoup), les pages de droite sont consacrées à des publicités accompagnées de photos magnifiques. Davigel, crème brûlée précuite en brique UHT, Debic qui fait des crèmes toutes prêtes en bouteille, de la mousse au chocolat et de la chantilly en bombe, préparation pour tiramisu, Pasta Presto (un concept qui permet de servir 81 combinaisons différentes de pâtes et de sauces en moins de 3 minutes), la KebaBox, "le kit malin pour booster vos ventes", les cuisinés pour bagels, paninis et pâtes, Bonduelle et Kellogg's - quelque chose me dit que l'adéquation entre le lectorat et les valeureux sujets des articles n'est pas parfaite. Il y a les aristocrates, et les autres - ceux qui auraient sûrement rêvé de jouer dans la cour des grands, eux aussi. Ceux qui seront peut-être plus intéressés par la pub de Valtero qui vante "la qualité au gramme près, la gestion au centime près" que par la recette de "Foie gras frais de canard de Chalosse en chaud-froid, morilles et asperges vertes", qui nous est offerte par un autodidacte modeste. Là comme ailleurs, il y a ceux qui réussiront à faire s'épanouir leur créativité, et ceux qui besogneront pour rester en course au quotidien en faisant une croix sur le grand art culinaire.
Encore que la réalité, là comme ailleurs, soit sans doute plus nuancée et qu'entre le blanc et le noir il n'y ait toute une gamme de gris plus ou moins souris...

2 commentaires:

La Mouette a dit…

Je te le dis de but en... blanc, j'adore ton post. J'adore, j'adore, j'adore. Il exprime parfaitement la contradiction de ce métier et de ses acteurs. Et moi, je préférerais toujours tes plats colorés et ta simplicité à ces appellations de chef surhumains, qui ont le temps de mitonner des petits délices et d'aller chercher le petit dernier à la crèche ;)

Pascale a dit…

Mouette : j'ai une réelle admiration pour ces gens qui ont sacrifié beaucoup, bossé encore plus, et se torturent les neurones à longueur de temps pour faire un métier vraiment dur, surtout en ce temps difficiles. Je suis touchée par ceux qui "auraient rêvé" de faire la même chose mais qui, face à la réalité, ont dû se contenter de plus petit : plus petits rêves, plus petite affaire, plus petites ambitions... Et puis il y a les autres, qui cherchent juste à faire de l'argent, ils existent aussi bien sûr, comme dans tous les métiers. Mais je reste persuadée qu'il est impossible de vraiment tenir dans ce job si on n'a pas un peu la fibre zinzin :-) quelle que soit la division dans laquelle on joue !

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