Nantes est une grande ville pourvue d'un éléphant (
clic, la preuve) et d'une population enfantine conséquente. J'en veux pour preuve une activité notable du côté des projets et réalisations à eux destinés. Déjà, il y a un
magasin Ti Moune, comme celui de Rennes, tenu par le grand Mario à qui vous pouvez poser toutes les questions possibles sur les couches lavables et les écharpes de portage, il est imbattable.
Et puis j'ai ouï dire que des projets ressemblant au
Café Clochette et
aux Libellules (et au
Poussette Café et à plein d'autres en France, maintenant) étaient en train de voir le jour. J'ouïs souvent dire ce genre de chose, rapport au fait que beaucoup de créateurs en puissance de ce genre d'endroits me contactent à un moment où à un autre. Parfois, c'est dans l'espoir que quelqu'un leur donne enfin l'argument qui convaincra leur douce moitié que ce rêve n'est pas une lubie et qu'on peut vraiment en vivre, parfois c'est dans les derniers moments du montage du projet, pour discuter des derniers détails. Parfois aussi, c'est dans l'espoir de se faire envoyer tout cru un dossier qu'il suffirait à présenter à une banque, avec étude de marché et tout et tout. Ceux-là reçoivent en général un mot assez bref.
A Nantes en tout cas, plusieurs personnes sont sur le point de se lancer. Je ne peux évidemment pas donner de détails, mais je repense à un petit bonhomme sympa comme tout avec des allergies alimentaires tellement compliquées que même dans mes boîtes, on n'avait réussi à trouver de quoi lui faire un goûter, c'est dire. Heureusement que sa maman était prévoyante et je suis sûre que ça lui sera utile dans pas longtemps. L'autre jour, ce sont deux jeunes femmes qui sont venues me voir pour discuter de l'opportunité d'ouvrir un lieu comme le mien. Il y a aussi le café associatif
A l'abordage (clic), où MiniLoup et moi-mêmes fîmes une virée il y a deux ans environ et où l'accueil fut charmant.
Du coup, je me pose la question : si l'essort des cafés à destination des familles se confirme partout en France, à quel moment précis va-t-on voir la fin des aventures individuelles et, pour l'instant, très globalement féminines pour voir débarquer les "vrais pros", ceux qui savent et qui, globalement, sont des mecs ? J'ai comme dans l'idée, mais peut-être n'ai-je qu'une vision légèrement distordue de la réalité, que ces dames essuyent les plâtres avec toute la générosité de coeur dont elles sont capables, en témoignent les beaux projets que l'on m'expose (du bio partout, des prix bas, des animations gratuites, des heures d'ouverture extensives, la préoccupation centrale pour la création de liens dans le tissu social, etc.) mais qu'à un moment, si ces affaires s'avèrent un minimum rentables, ce sont d'autres préoccupations qui vont prendre le dessus. Tout à coup, je me prendrais presque à espérer qu'elles ne soient pas trop rentables.
Vous comprenez bien que cette dernière phrase est ironique, cependant. Parce que le découragement vient très vite, quand le poids de l'entreprise se fait vraiment sentir du côté des vraies lourdeurs administratives et financières. Il faut que ça décolle vite, sinon le risque est très, très présent, de devoir renoncer. On n'a pas tellement de marge de manoeuvre, somme toute, le plus souvent on n'a même pas les fameux trois ans pendant lesquels, nous dit-on, une entreprise doit faire ses preuves. Parfois, je ris jaune quand quelqu'un me dit "mais tu vois bien que ça marche, c'était plein à midi !" Bien sûr que ça marche, mais si je regarde mes chouettes tableaux qui fonctionnent tout seuls, ils me disent quand même que même avec le restaurant plein, je n'ai pas de quoi me payer ce mois-ci. Je ris jaune pâle (ou, dans le cas d'un vrai coup de fatigue qui m'ôte ma placidité habituelle, je me fâche tout rouge) quand des fâcheux me démontrent avec aplomb que je ne gère pas mon temps/mon entreprise/mes investissements correctement. Ca peut être dur, très très dur. De faire des semaines de plus de 60 heures, de ne plus voir sa progéniture qu'entre deux portes, de mettre toutes les autres considérations en sourdine, de ne plus prendre le temps pour des conversations pourtant nécessaires ou juste agréables.
Alors pour quoi continuer ? pour ne pas perdre ses billes ? pour prouver qu'on avait raison ? pour la joie de ce qui est ? pour l'énergie qu'on tire de ce qu'on a créé ? pour les sourires qui disent qu'on avait bien raison ? pour l'espoir de continuer encore ? pour la gratuité de l'effort qu'on a mis dans cette belle aventure ?
Enfin la question que je me posais ces jours-ci, c'est si une femme n'avait pas, plus qu'un homme, tendance à mettre en avant des considérations pas très commerciales même quand elle crée un commerce, précisément ? J'ai l'impression que oui. Je peux me tromper. M'enfin ça m'interroge, quoi. Du coup, je vais garder un oeil sur ce qui se passe à Nantes, histoire de voir comment elles s'en sortent et ce qui en ressort... et parce que MiniLoup et moi aurons bien besoin d'un point de chute pour notre prochaine visite à l'éléphant. La dernière fois, on n'a même pas pu le voir, l'éléphant, une histoire de patte blessée apparemment. Autant vous dire que la prochaine expédition se peaufine.
Allez, courage mesdames. Accrochez-vous. Vous 10 (ou presque) et toutes les autres. On vous dira que vous n'êtes pas réalistes, et sans doute l'êtes-vous moins que ces messieurs s'ils faisaient ce que vous tentez de faire, mais ça n'est pas une raison pour ne pas aller au bout de ce qui vous tient à coeur. Foi de visiteuse d'éléphant.