Il y avait un monde fou hier soir au Café Clochette, vous n'avez pas idée. Timirrou et moi, on s'est regardés et on est allés se plancher, je veux dire se planquer dans la penderie un moment, le temps que ça se calme. Et comme ça ne se calmait pas, j'ai laissé le matou roupiller en paix sur les chaussettes évadées d'un tiroir par la grâce d'une papatte à l'affût et je suis allé jeter un coup d'oeil discret. Mes aïeux ! plein de moufflets dans la cabane à jouets, des adultes en train de siroter des bulles (ah, les bulles... j'aime bien les bulles) et tout le monde qui grignotait des trucs et des machins et discutait tranquille et en rigolant. J'ai aperçu un banquier en cravate et un artisan en polo, une graphiste détendue et une couturière qui lui a offert une jolie écharpe, comme si elle avait peur que la cafelière attrape froid. Il faut dire qu'elle est un peu pâle en ce moment, il faut dire que la mésaventure de Timirrou l'a un peu ébranlée, il faut dire que tout ça c'est bien émotionnant. Il y avait aussi les amis d'avant, qui connaissaient le Café Clochette avant que ça soit le Café Clochette, du temps où il n'y avait ni tables ni chaises mais un canapé et un grand bureau. On les reconnaît facilement parce que les enfants appellent encore ça "chez Pacale" et demandent où sont les meringues. Hier, les meringues elles sont parties en deux coups de cuillère à pot, si je puis dire. Il faut dire qu'elles étaient particulièrement réussies, grâce au nouveau four qui parle. Si, si, il parle. Il dit poliment "bonjour" quand on lui adresse la parole et il prévient "attention porte ouverte" dès qu'on met quelque chose dedans, ça a l'air de stresser un chouia la cafelière et son acolyte qui ne s'y sont pas encore faites. Mais moi, j'ai vérifié, pas moyen de l'allumer le four, les touches tactiles ça vaut rien pour les fantômes, il faudrait repenser le truc. Enfin j'en ai pas spécifiquement besoin remarquez bien, mais la technique ça me passionne, alors vous imaginez la frustration ? enfin il me reste l'ordinateur, c'est déjà ça. Je suis en train d'essayer de me créer un compte Facebook, là. J'ai juste un souci pour la photo. Bon, où j'en étais déjà ? ah oui, les invités. Les invités, donc, ils buvaient des bulles. Moi, j'aime bien les bulles. Mais quand j'ai réussi à descendre discrètement quand la cafelière s'est retirée pour la nuit dans ses appartements, les bulles elles étaient tièdes et si j'ai une fortitude d'âme à faire frissonner tous les châteaux-forts de la Basse Bretagne, je me morfonds devant des bulles tièdes. Pas de bulles pour le brave, hier soir. Tant pis. Il restait un tout petit bout d'andouille et une lichette de tartinade au saumon (parce que le frigo, je peux l'ouvrir, lui, là aucun problème, d'où, j'imagine, les froncements de sourcils épisodiques de la cafelière devant la disparition impromptue de certains restes, attribuée bien injustement aux chats, mais elle ne se figure pas comment ils arrivent à ouvrir la porte) qui ont fait l'affaire quand même. La cafelière, elle n'avait pas le droit de faire un discours et de toute façon je soupçonne qu'elle aurait préféré se cacher sous une table plutôt que de monter dessus pour haranguer les foules, mais je soupçonne qu'elle aurait dit un mot de moi. C'est que maintenant qu'elle a compris que j'étais dans le coin (sauf rapport au frigo, là elle a pas encore fait le lien, mais ça ne saurait tarder), elle a bien compris aussi que j'étais utile. Rapport aux souris, tout ça, enfin je vais pas me répéter, ceux qui me lisent me connaissent. Et puis comme je l'ai entendue marmonner dans son sommeil, je sais qu'elle pensait aussi à Isabelle et Christine, les deux équipières de choc qui l'ont épaulée depuis le début et sans qui ce serait rudement moins rigolo, aux artisans qui ont créé le lieu tel qu'il est, aux fournisseurs réguliers avec qui se sont tissés des liens de confiance et, parfois, d'amitié, aux artistes aux doigts de fées, aux amis qui ont donné les coups de main, de marteau et de pinceau avant l'ouverture, aux amis, souvent les mêmes, qui ont suivi les mésaventures du début et n'ont jamais fait défaut quand ça devenait dur, aux clients qui sont devenus des amis, et il y en a beaucoup. Je le sais, moi, je les vois depuis un an et je vois grandir les petiots. Et puis à tous ceux qui ont investi les lieux pour les animations, du cours de portage au cours de langue des signes, du cours de grec à la réunion de LLL, et tous les autres...
On me dit dans l'oreillette que je suis trop long. (Nan, s't'une blague.) Alors pour conclure je ne dirai qu'une chose : longue vie au Café Clochette.
Mais la prochaine fois, pensez à mettre ce qui reste de bulles au frais.