Ce soir, direction un magasin jaune et bleu - pas Hic et Ah, un autre. Enfin comme le fit judicieusement remarquer MiniLoup, petit doigt tendu vers la façade, "spa jaune et bleu, ya du marron aussi". Dont acte. Un magasin jaune, bleu avec du marron aussi. Il s'agissait de la mienne, de façade, enfin celle du Café Clochette que Florette et son chaton on commencé cet après-midi, entre deux averses, à lessiver à grandes eaux. Je partais, armée d'un enfant haut à peu près comme ça à l'intelligence affûtée et de mes propres grandes espérances, à la chasse à la peinture, pour la repeindre, ma devanture, enfin celle du Café Clochette.
Las, las, las. Que ne fus-je plus prompte à rester sous la couette. Ou un autre truc reposant du même genre.
Car la chasse fut épique.
En voiture. Averse. Une petite voix flûtée jaillit du siège arrière. "C'été pas une trébounidée d'ouvrir la fenêtre. Je suis tout mouillé du pied." Un coup d'oeil rapide et prudent me le confirme : la prunelle de mes yeux est tout mouillé du pied gauche. Dix minutes plus tard, dans le magasin, il faisait sploutch sploutch. Du pied gauche, juste.
On a sploutché notre chemin jusqu'au rayon "Peinture" ou j'espérais benoîtement trouver de la peinture. On a attendu 5 minutes qu'un vendeur arrive, puis on est allés à la recherche d'un vendeur dans un rayon adjacent. Moue dubitative de notre proie potentielle "oh moi vous savez, ma spécialité c'est la Salle de bain", mais qui nous suit gentiment jusqu'au rayon "Peinture" et remarque "ah oui, ya personne." Et ajoute "vous avez regardé dans le rayon à côté ?" Avant de dégainer un téléphone. "Oui, c'est Didier." "Ah ouais ? nan ! quand même ! mais on verra ça demain, non ? enfin... ah ouais ?" Un blanc, il écoute. Et semble prendre son courage à deux mains pour interrompre son interlocuteur ou trice. "Euh, là j'ai une dame, elle voudrait un vendeur en Peinture." Un blanc. "Ouais d'accord." Vers moi : "il arrive" et se carapate vers les rives plus ensoleillées de la Salle de bain.
C'est une jeune dame qui arrive.
- Bonjour, je peux vous aider ?
- Ah oui je crois, j'ai besoin de peinture.
- Ah mais je n'y connais rien moi... il vous faut quoi ?
- Je dois repeindre une façade, pour un restaurant, j'ai les références là : soit Pantone DS 126-1U, soit LAB 42/69/17/P.
- Pardon ?
- Ce sont des références.
- Ah ?
Dégainage de téléphone. "Allo, c'est Maxine là. J'ai une cl... Naaaaan ? ah ouais ? Dis, j'ai une cli..." Un blanc. "Ouais d'accord, et pour ma cliente que j'ai là ?" Vers moi : "Vous voulez quoi déjà ?" Dans son téléphone : "elle veut de la peinture". Vers moi : "la personne arrive", et se carapate à son tour.
Arrive un grand jeune homme à l'allure compétente, mon taux d'espoir dans le sang remonte.
- Alors comme ça vous voulez de la peinture ?
- Oui, pour les façades, j'ai des références là, soit Pant...
- Ah oui mais ça ce sont des références labo, nous on n'a pas ça. Il va falloir chercher dans le nuancier.
Je saisis l'épais nuancier et trouvai bientôt ma couleur, qui s'appelait cette fois 20.2114.1, tendis le doigt pour l'indiquer au monsieur - qui avait disparu. Mais revint bientôt. En finissant sa conversation à la cantonade avec le vendeur des Salles de bain, "ah ouais ? naaaan... enfin bon."
Il posa les yeux sur le carré de couleur que je lui montrais et je le vis se décomposer.
- Ah. Du rose.
Pensant qu'il n'aimait pas le rose, ce qui est le droit le plus strict de tout être humain en général et des vendeurs de peinture en particulier, j'attendis simplement la suite.
- Alors le rose, on fait pas. Et personne vous en vendra.
En une seconde défila devant mes yeux ébahis le scénario de l'année qui vient. Remonter un dossier pour une devanture verte. Les photos depuis l'autre côté de la rue. Les documents du cadastre à photocopier vingt-sept fois. Les courriers. Les recommandés. Les coups de fils. Les numéros de dossier, ah mon Dieu les numéros de dossier. Pour revenir dans un an, avec une référence pour du vert et qu'on me dise "ah maintenant on fait du rose". J'ai dû vaciller un peu parce que mon interlocuteur a eu l'air pris de pitié et dit "mais si vous voulez autre chose, pas de problème hein". J'esquissai la situation dans ses grandes lignes et il me répéta, navré :
- Ah oui je comprends, mais le rose on fait pas, navré, parce que ça ne résiste pas aux UV et dans un an, votre couleur elle sera comme ça", me montrant un carré de couleur à peine plus clair qu'un navet albinos, qui aurait juste piqué un léger fard parce qu'on venait de lui raconter une histoire pour les grands.
- Alors vous comprenez, on n'a plus cette référence. Si vous voulez je vous donne des adresses de grossistes, mais ils vont vous dire la même chose, ils vous feront signer une décharge pour pas engager leur responsabilité, vous comprenez, sinon ils se feraient poursuivre tout le temps.
- ...
- A la limite, on pourrait vous vendre de la peinture pour le bois, mais...
- Ah mais attendez, elle est en bois ma façade !
- ...
- ...
- Ah ! bon alors ça va alors !
Et il m'a fait mon mélange de 2, 5 litres de peinture rose, référence 20.2114.1, que j'ai saisi délicatement et posé dans le caddie auprès d'un MiniLoup qui avait enlevé sa chaussure mouillée. Et dit au revoir au jeune homme à qui j'ai laissé en échange la carte du Café Clochette, qui est de la même couleur que celle qu'il venait de me vendre et à mon avis, il lui suffira de passer devant ma nouvelle devanture toute bellement repeinte pour savoir que c'est là. Et ce soir, les téléphones doivent continuer à chauffer entre vendeurs.
Le reste fut sans souci. Pas de peinture dans la chaussure mouillée, pas d'épandage inopiné au milieu du magasin. Le pot est resté tout droit debout, MiniLoup agitait les orteils de contentement et on a pu récupérer nos rallonges, patins de ponceuse (oui ! j'ai une ponceuse ! merci à vos propositions, j'en ai même trouvé deux !) et autres taquets et masques à poussière. J'ai juste perdu quelques années d'espérance de vie avec l'arrêt cardiaque expérimenté quelques minutes plus tôt.
Ah si, il y eut une averse sur le chemin du retour. Et une petite voix flûtée :
- Maman. Tapafermélafenêtre. Je suis encore plus tout mouillé.
La suite des aventures, c'est demain. Sur un chantier de cette importance, je ne doute pas de trouver matière à vous raconter des trucs. Ou pas, on verra. Mais là, ce soir, je vois la vie en rose, si c'est pas formidable.
Las, las, las. Que ne fus-je plus prompte à rester sous la couette. Ou un autre truc reposant du même genre.
Car la chasse fut épique.
En voiture. Averse. Une petite voix flûtée jaillit du siège arrière. "C'été pas une trébounidée d'ouvrir la fenêtre. Je suis tout mouillé du pied." Un coup d'oeil rapide et prudent me le confirme : la prunelle de mes yeux est tout mouillé du pied gauche. Dix minutes plus tard, dans le magasin, il faisait sploutch sploutch. Du pied gauche, juste.
On a sploutché notre chemin jusqu'au rayon "Peinture" ou j'espérais benoîtement trouver de la peinture. On a attendu 5 minutes qu'un vendeur arrive, puis on est allés à la recherche d'un vendeur dans un rayon adjacent. Moue dubitative de notre proie potentielle "oh moi vous savez, ma spécialité c'est la Salle de bain", mais qui nous suit gentiment jusqu'au rayon "Peinture" et remarque "ah oui, ya personne." Et ajoute "vous avez regardé dans le rayon à côté ?" Avant de dégainer un téléphone. "Oui, c'est Didier." "Ah ouais ? nan ! quand même ! mais on verra ça demain, non ? enfin... ah ouais ?" Un blanc, il écoute. Et semble prendre son courage à deux mains pour interrompre son interlocuteur ou trice. "Euh, là j'ai une dame, elle voudrait un vendeur en Peinture." Un blanc. "Ouais d'accord." Vers moi : "il arrive" et se carapate vers les rives plus ensoleillées de la Salle de bain.
C'est une jeune dame qui arrive.
- Bonjour, je peux vous aider ?
- Ah oui je crois, j'ai besoin de peinture.
- Ah mais je n'y connais rien moi... il vous faut quoi ?
- Je dois repeindre une façade, pour un restaurant, j'ai les références là : soit Pantone DS 126-1U, soit LAB 42/69/17/P.
- Pardon ?
- Ce sont des références.
- Ah ?
Dégainage de téléphone. "Allo, c'est Maxine là. J'ai une cl... Naaaaan ? ah ouais ? Dis, j'ai une cli..." Un blanc. "Ouais d'accord, et pour ma cliente que j'ai là ?" Vers moi : "Vous voulez quoi déjà ?" Dans son téléphone : "elle veut de la peinture". Vers moi : "la personne arrive", et se carapate à son tour.
Arrive un grand jeune homme à l'allure compétente, mon taux d'espoir dans le sang remonte.
- Alors comme ça vous voulez de la peinture ?
- Oui, pour les façades, j'ai des références là, soit Pant...
- Ah oui mais ça ce sont des références labo, nous on n'a pas ça. Il va falloir chercher dans le nuancier.
Je saisis l'épais nuancier et trouvai bientôt ma couleur, qui s'appelait cette fois 20.2114.1, tendis le doigt pour l'indiquer au monsieur - qui avait disparu. Mais revint bientôt. En finissant sa conversation à la cantonade avec le vendeur des Salles de bain, "ah ouais ? naaaan... enfin bon."
Il posa les yeux sur le carré de couleur que je lui montrais et je le vis se décomposer.
- Ah. Du rose.
Pensant qu'il n'aimait pas le rose, ce qui est le droit le plus strict de tout être humain en général et des vendeurs de peinture en particulier, j'attendis simplement la suite.
- Alors le rose, on fait pas. Et personne vous en vendra.
En une seconde défila devant mes yeux ébahis le scénario de l'année qui vient. Remonter un dossier pour une devanture verte. Les photos depuis l'autre côté de la rue. Les documents du cadastre à photocopier vingt-sept fois. Les courriers. Les recommandés. Les coups de fils. Les numéros de dossier, ah mon Dieu les numéros de dossier. Pour revenir dans un an, avec une référence pour du vert et qu'on me dise "ah maintenant on fait du rose". J'ai dû vaciller un peu parce que mon interlocuteur a eu l'air pris de pitié et dit "mais si vous voulez autre chose, pas de problème hein". J'esquissai la situation dans ses grandes lignes et il me répéta, navré :
- Ah oui je comprends, mais le rose on fait pas, navré, parce que ça ne résiste pas aux UV et dans un an, votre couleur elle sera comme ça", me montrant un carré de couleur à peine plus clair qu'un navet albinos, qui aurait juste piqué un léger fard parce qu'on venait de lui raconter une histoire pour les grands.
- Alors vous comprenez, on n'a plus cette référence. Si vous voulez je vous donne des adresses de grossistes, mais ils vont vous dire la même chose, ils vous feront signer une décharge pour pas engager leur responsabilité, vous comprenez, sinon ils se feraient poursuivre tout le temps.
- ...
- A la limite, on pourrait vous vendre de la peinture pour le bois, mais...
- Ah mais attendez, elle est en bois ma façade !
- ...
- ...
- Ah ! bon alors ça va alors !
Et il m'a fait mon mélange de 2, 5 litres de peinture rose, référence 20.2114.1, que j'ai saisi délicatement et posé dans le caddie auprès d'un MiniLoup qui avait enlevé sa chaussure mouillée. Et dit au revoir au jeune homme à qui j'ai laissé en échange la carte du Café Clochette, qui est de la même couleur que celle qu'il venait de me vendre et à mon avis, il lui suffira de passer devant ma nouvelle devanture toute bellement repeinte pour savoir que c'est là. Et ce soir, les téléphones doivent continuer à chauffer entre vendeurs.
Le reste fut sans souci. Pas de peinture dans la chaussure mouillée, pas d'épandage inopiné au milieu du magasin. Le pot est resté tout droit debout, MiniLoup agitait les orteils de contentement et on a pu récupérer nos rallonges, patins de ponceuse (oui ! j'ai une ponceuse ! merci à vos propositions, j'en ai même trouvé deux !) et autres taquets et masques à poussière. J'ai juste perdu quelques années d'espérance de vie avec l'arrêt cardiaque expérimenté quelques minutes plus tôt.
Ah si, il y eut une averse sur le chemin du retour. Et une petite voix flûtée :
- Maman. Tapafermélafenêtre. Je suis encore plus tout mouillé.
La suite des aventures, c'est demain. Sur un chantier de cette importance, je ne doute pas de trouver matière à vous raconter des trucs. Ou pas, on verra. Mais là, ce soir, je vois la vie en rose, si c'est pas formidable.