lundi 22 juin 2009

Petit escogriffe

La dernière fois pourtant, nous avons réussi à la suivre jusqu'à sa destination. Au-delà du Thabor, encore une vingtaine de minutes de marche et elle est arrivée devant une petite maison de ville sans beaucoup de caractère, avec un jardin tout pelé pourvu de trois pieds de marguerites anémiées et d'une touffe de menthe fatiguée. Nous nous sommes postés assez peu discrètement - elle ne semblait jamais nous remarquer ni lever la tête du trottoir où elle scrutait ses pensées - de l'autre côté de la route, devant un arrêt de bus désert. Il faisait presque nuit. Elle a sorti une clé de sa poche, une simple petite clé plate, et elle a ouvert la serrure du haut sur la porte du garage. Elle a poussé la porte, est entrée, a refermé et n'est plus ressortie. Au bout d'une demi-heure peut-être, nous sommes allés voir le nom sur la boîte aux lettres. Edwin Drood, en petites lettres penchées et manuscrites sur un bout de papier collant jauni par le temps. Edwin Drood ?
Et voilà que le mystère, déjà passablement épais, s'épaississait encore. Que venait faire un héros mythique de la littérature anglaise dans cette histoire ? une fausse inspectrice de la police française venait d'entrer chez le plus mystérieux des héros de Dickens. On en venait à se poser des questions sur la réalité de tout ça...
Une heure plus tard, c'est un homme qui sortait de la maison. Plutôt petit - plus petit que moi - c'était un personnage étrange. Il portait sur la tête une sorte de touffe de cheveux blancs à la Beethoven dont on aurait pu suspecter sans trop de mal qu'il s'agissait d'une perruque. Son visage, dans l'ombre, n'accrochait pas la lumière. Un escogriffe. Celui-là, on l'a laissé partir. Je n'osais pas m'aventurer à rester seule dans ce coin mal connu de la ville et pour l'instant, ce qui nous importait c'était de savoir ce que devenait l'inspectrice. Edwin Drood a traversé la rue, est passé devant nous et a tourné au coin, nous ne l'avons pas revu. Une heure plus tard, nous avons laissé tombé et nous sommes rentrés chacun vers notre sympathique destin.

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