Fairfield est un petit village situé non loin de la route de Portsmouth, à mi-parcours environ entre Londres et la mer. Les voyageurs qui, de temps à autre, le découvrent par hasard disent que c’est un endroit plein d’un charme désuet. Nous qui l’habitons n’y trouvons rien de particulièrement charmant, mais nous serions désolés d’habiter ailleurs. Nos esprits ont pris la forme de l’auberge, de l’église et de la place, je suppose. Quoi qu’il en soit, nous ne sommes jamais à l’aise lorsque nous sommes loin de Fairfield.
Les Londoniens, avec leurs grandes maisons et leurs rues bruyantes, peuvent bien nous traiter de péquenots, Fairfield n’en est pas moins plus agréable à vivre que Londres. Le docteur dit que lorsqu’il se rend à Londres son esprit est tout écrasé par le poids des maisons, et pourtant il est né là-bas. Il a dû y vivre lorsqu’il était tout gamin mais il a plus de bon sens à présent. Vous autres gentlemen pouvez bien rire – peut-être bien que certains d’entre vous viennent de Londres – mais je suis sûr qu’un tel témoin vaut son pesant d’or.
Vous trouveriez peut-être la vie ici un peu ennuyeuse, c’est certain, mais je vous assure que j’ai écouté toutes les histoires de Londres que vous avez racontées ce soir et qu’elles ne sont rien du tout par rapport à ce qui se passe à Fairfield. C’est à cause de notre façon de voir les choses et de nous mêler de nos propres affaires. Si un seul de vos Londoniens se retrouvait sur la place du village un samedi soir, quand les fantômes des jeunots qui sont morts à la guerre content fleurette aux jeunes filles enterrées dans le cimetière de l’église, il ne pourrait pas s’empêcher d’être curieux et de se mêler de ce qui ne le regarde pas, et alors les fantômes iraient chercher un coin plus calme. Nous, on les laisse aller et venir et on n’en fait pas toute une histoire, et c’est pour ça que Fairfield a la population de fantômes la plus importante de toute l’Angleterre. Me croiriez-vous si je vous disais que j’ai vu un homme sans tête assis sur la margelle du puits en plein jour, avec les gamins du village qui jouaient sous ses pieds comme si c’était leur propre père ? Croyez-moi sur parole, les esprits savent bien où ils seront à l’aise, tout autant que les êtres humains.
Je dois bien avouer pourtant que ce que je vais vous raconter était étrange, même pour notre coin perdu où trois meutes de chiens fantômes chassent régulièrement pendant la saison et où l’arrière-grand-père du maréchal-ferrant s’active toute la nuit à ferrer les chevaux des gentlemen décédés. Ca, c’est une chose qui n’arrive jamais à Londres, à cause de leur habitude de se mêler de ce qui ne les regarde pas, mais le maréchal-ferrant d’ici dort à poings fermés et aussi tranquillement qu’un agneau. Une nuit il avait la migraine, alors il leur a crié de faire moins de bruit, et le lendemain matin il a trouvé une vieille pièce d’une guinée sur l’enclume en guise d’excuses. Il la porte sur sa chaîne de montre à présent. Mais je dois continuer mon histoire ; si je commence à vous raconter les choses étranges qui se passent à Fairfield je n’arriverai plus à m’arrêter.
A suivre...
(Richard Middleton, The Ghost Ship, 1912, traduction de Pascale Renaud-Grosbras)
Les Londoniens, avec leurs grandes maisons et leurs rues bruyantes, peuvent bien nous traiter de péquenots, Fairfield n’en est pas moins plus agréable à vivre que Londres. Le docteur dit que lorsqu’il se rend à Londres son esprit est tout écrasé par le poids des maisons, et pourtant il est né là-bas. Il a dû y vivre lorsqu’il était tout gamin mais il a plus de bon sens à présent. Vous autres gentlemen pouvez bien rire – peut-être bien que certains d’entre vous viennent de Londres – mais je suis sûr qu’un tel témoin vaut son pesant d’or.
Vous trouveriez peut-être la vie ici un peu ennuyeuse, c’est certain, mais je vous assure que j’ai écouté toutes les histoires de Londres que vous avez racontées ce soir et qu’elles ne sont rien du tout par rapport à ce qui se passe à Fairfield. C’est à cause de notre façon de voir les choses et de nous mêler de nos propres affaires. Si un seul de vos Londoniens se retrouvait sur la place du village un samedi soir, quand les fantômes des jeunots qui sont morts à la guerre content fleurette aux jeunes filles enterrées dans le cimetière de l’église, il ne pourrait pas s’empêcher d’être curieux et de se mêler de ce qui ne le regarde pas, et alors les fantômes iraient chercher un coin plus calme. Nous, on les laisse aller et venir et on n’en fait pas toute une histoire, et c’est pour ça que Fairfield a la population de fantômes la plus importante de toute l’Angleterre. Me croiriez-vous si je vous disais que j’ai vu un homme sans tête assis sur la margelle du puits en plein jour, avec les gamins du village qui jouaient sous ses pieds comme si c’était leur propre père ? Croyez-moi sur parole, les esprits savent bien où ils seront à l’aise, tout autant que les êtres humains.
Je dois bien avouer pourtant que ce que je vais vous raconter était étrange, même pour notre coin perdu où trois meutes de chiens fantômes chassent régulièrement pendant la saison et où l’arrière-grand-père du maréchal-ferrant s’active toute la nuit à ferrer les chevaux des gentlemen décédés. Ca, c’est une chose qui n’arrive jamais à Londres, à cause de leur habitude de se mêler de ce qui ne les regarde pas, mais le maréchal-ferrant d’ici dort à poings fermés et aussi tranquillement qu’un agneau. Une nuit il avait la migraine, alors il leur a crié de faire moins de bruit, et le lendemain matin il a trouvé une vieille pièce d’une guinée sur l’enclume en guise d’excuses. Il la porte sur sa chaîne de montre à présent. Mais je dois continuer mon histoire ; si je commence à vous raconter les choses étranges qui se passent à Fairfield je n’arriverai plus à m’arrêter.
A suivre...
(Richard Middleton, The Ghost Ship, 1912, traduction de Pascale Renaud-Grosbras)
2 commentaires:
Merci.
My pleasure, I'm sure... C'est un auteur que j'aime beaucoup et qui m'accompagne depuis un moment déjà.
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