jeudi 3 décembre 2009

Généalogie d'un déterminisme ordinaire

Un mien cousin s'est réveillé, citoyen ordinaire, un petit matin d'hiver... mais ne sommes-nous vraiment que des citoyens ordinaires, quand l'extraordinaire fait irruption dans nos quotidiens ? Il m'a envoyé le message qui suit, que je vous fais suivre à mon tour. Et pour que ce soit clair (parce que par ici ça ne l'est pas toujours) : non, ce n'est pas une fiction. Hélas...


Six heures du matin, Paris, sur les bords des Maréchaux, aux avant-postes des conquêtes du froid.
Une déflagration sourde suivie d'aboiements inhabituels me tire violemment des rêves douillets du petit matin dans lesquels j'ai toujours plaisir à me perdre. Un cri guttural perce l'ouate molletonnée du sommeil : " police ! ". J'émerge difficilement et ouvre ma porte. Celle de mon voisin, blindée avec serrure trois points, n'a visiblement pas eu l'audace de résister à la force légitime et violence légitimée par l'uniforme. Elle gît dans le couloir et un chien policier victorieux clame sa supériorité en la foulant aux pattes. Un bélier en travers du couloir, des chiens, une bonne douzaine de policiers et policières : "rentrez chez vous Monsieur, rentrez immédiatement".
Sept ans, pas de père, ou plutôt père inconnu, la mère a trop d'amants. Il s'appelle Sébastien, parce que Maman adorait regarder Belle et Sébastien à la télé quand elle était petite. Elle est morte d'une overdose dans la cage d'escalier qui menait au domicile de la grand-mère dans lequel elle vivait avec Sébastien. Sept ans, pas de père, plus de mère et pour seule famille une grand-mère qui a quatre enfants de quatre pères différents et dont aucun n'a reconnu aucun. L'un des oncles de Sébastien fait le va et vient entre la prison et le domicile de la grand-mère, l'autre est parti sans laisser d'adresse. La maman de Sébastien est morte et la dernière des filles qui a échoué au brevet des collèges tente une formation d'aide à la personne.
Quand Sébastien a perdu sa mère, il a été confié à la DASS par la justice. L'oncle taulard et l'overdose de la mère ont joué en défaveur de la grand-mère. Il a ensuite été bringuebalé de centres du sud-est en centres du nord-ouest et onze ans se sont passés pendant lesquels il revenait voir grand-mère sur les Maréchaux parisiens pendant les vacances. A dix-huit ans, le domicile de la grand-mère devint le sien de fait.
Il a raté son brevet des collèges. Est-on en mesure d'avoir la tête libre pour additionner 2+2 et soustraire quelques fractions quand son passé, sa vie, est celle de Sébastien ?
Le petit garçon de sept ans mesure maintenant un mètre quatre vingt dix et est bâti comme un rugbyman. Depuis ses dix-huit ans, il n'habite pas vraiment chez sa grand-mère, il y dort. N'ayant aucun diplôme, il n'a aucun travail. N'ayant aucun travail, il n'a aucun argent. Mais jeune adulte dans un foyer où la télévision braille en permanence des désirs à désirer plus que tout et dans l'immédiateté, il a des besoins. Il n'est donc que peu le bienvenu chez mamie qui le met régulièrement à la porte et lui a supprimé les clés de l'appartement.
Sébastien est en bas, avec les copains, dans la cage d'escalier du 3 ou du 1. Il fume des pétards à l'endroit même où sa mère est morte une grosse dizaine d'années plus tôt. Quand les vieux râlent trop que ça pue dans l'entrée, ils se réfugient tous dans le local poubelle pour boire du red-bull additionné de vodka ou de gin, en fumant quelques pétards pour oublier que l'on peut se souvenir.
Mais oublier coûte cher et Sébastien a investi.
Les policiers ont emmené Sébastien ce matin dans les lueurs blafardes et froides de l'aurore. Le gardien de l'immeuble a pu dire par la suite que Sébastien n'avait de toute façon rien compris, qu'il faisait le malin avec ses menottes aux poignets. Dernières escarbilles, ultimes feux jetés sur le monde des Maréchaux. Fierté : le maigre butin des vaincus.
Si vous ne connaissez pas intimement la suite dans votre chair et votre esprit, vous l'imaginez aisément. Garde à vue, fouille à corps, enfermement dans quelques mètres carrés jamais lavés et puants, questions et questions sans autre nourriture qu'un maigre sandwich au pain déjà trop vieux. Pour la justice française kantienne, Sébastien sera coupable puisqu'il n'est pas dément et est donc possesseur d'un libre-arbitre. Sébastien avait le choix de vendre ou de ne pas vendre de drogue. Il a choisi la délinquance, donc il doit être puni. Sébastien a eu le choix de ne pas avoir de père, d'avoir une mère décédée d'overdose, d'être privé d'amour et de faire semblant de vivre en se défonçant réellement. On a les choix que l'on peut !
Quand Sébastien est parti ce matin, entouré de policiers, la grand-mère lui a crié "bon débarras, reste-y !", puis "et ma porte, qui c'est qui va me la payer la porte ?".
Les policiers n'ont rien répondu, France 3 était en train de tourner.

1 commentaire:

La Mouette a dit…

Voilà de quoi glacer le sang. Voilà qui représente bien la justice de notre beau pays, toujours prêt à accabler les moins nantis.
Voilà qui illustre parfaitement l'individualisme qui bouffe chaque jour un peu plus notre société.
Voilà une triste histoire qui pourrait être cocasse si elle n'était réelle.
Voilà qui finit de me déprimer.
Voilà... Haut-les-coeurs car rien n'indique que les choses vont changer.

Très jolie plume, au demeurant...

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