Nous sommes descendus jusqu’au navire et en arrivant on a vu le capitaine qui prenait le frais sur le pont. Quant il a vu le pasteur il a enlevé son chapeau très poliment et je peux vous dire que j’étais soulagé de voir qu’il avait du respect pour le clergé. Le pasteur a répondu à son salut et puis il s’est mis à lui parler fermement.
– Monsieur, j’aimerais vous dire un mot.
– Montez à bord, monsieur, montez à bord, a dit le capitaine, et je pouvais dire d’après sa voix qu’il savait pourquoi on était là. Le pasteur et moi on s’est hissés sur le pont à l’aide d’une échelle de corde branlante et le capitaine nous a conduits dans la vaste cabine à l’arrière du navire, celle où il y avait la grande fenêtre. C’était un endroit comme vous n’en avez jamais vu, avec des quantités de vaisselle d’or et d’argent, des sabres avec des fourreaux ornés de pierreries, des chaises de chêne sculpté et des malles immenses dont on aurait dit qu’elle étaient pleines à ras bord de guinées d’or. Le pasteur lui-même avait l’air surpris et il n’a même pas eu l’air très désapprobateur quand le capitaine a pris des chopes d’argent et qu’il y a versé du rhum. J’ai goûté à mon godet et je dois dire que ça a complètement changé mon avis sur la question. Il n’y avait rien de louche à propos de ce rhum et j’ai senti qu’il était ridicule de blâmer les gamins de boire trop de cette boisson-là. J’avais l’impression que ça me remplissait les veines de miel et de feu.
Le pasteur a expliqué tout nettement ce qui se passait au capitaine mais je n’écoutais pas vraiment, j’étais occupé à siroter mon verre et à regarder par la baie les poissons qui nageaient au-dessus des navets du patron. A ce moment-là ça me semblait la chose la plus naturelle du monde, quoique plus tard évidemment, j’aie compris que ça prouvait bien que c’était un navire fantôme.
Enfin j’ai quand même trouvé bizarre sur le moment de voir un marin noyé flotter en l’air, des bulles plein les cheveux et plein la barbe. C’était la première fois que je voyais quelque chose de ce genre à Fairfield.
Pendant tout le temps où je contemplais les merveilles des grands fonds, le pasteur racontait au capitaine Roberts qu’on ne connaissait plus la paix au village à cause de la malédiction de l’ivrognerie et que les jeunes fantômes donnaient le mauvais exemple aux plus âgés. Le capitaine écoutait attentivement et se contentait de dire un mot de temps en temps, à propos de la nature des jeunes gens, et des histoires de jeter sa gourme. Mais quand le pasteur a fini son discours il a rempli nos chopes d’argent et il a dit au pasteur avec un grand geste :
– Je serais désolé de causer du tracas là où j’ai reçu un bon accueil, et vous serez heureux d’apprendre que je reprends la mer demain soir. Maintenant vous devez boire à ma santé pour me souhaiter bon vent.
Alors on s’est levés tous les trois et on a bu à sa santé et ce noble rhum était comme de l’huile bouillante dans mes veines.
A suivre...
(Richard Middleton, The Ghost Ship, 1912, traduction Pascale Renaud-Grosbras)
– Monsieur, j’aimerais vous dire un mot.
– Montez à bord, monsieur, montez à bord, a dit le capitaine, et je pouvais dire d’après sa voix qu’il savait pourquoi on était là. Le pasteur et moi on s’est hissés sur le pont à l’aide d’une échelle de corde branlante et le capitaine nous a conduits dans la vaste cabine à l’arrière du navire, celle où il y avait la grande fenêtre. C’était un endroit comme vous n’en avez jamais vu, avec des quantités de vaisselle d’or et d’argent, des sabres avec des fourreaux ornés de pierreries, des chaises de chêne sculpté et des malles immenses dont on aurait dit qu’elle étaient pleines à ras bord de guinées d’or. Le pasteur lui-même avait l’air surpris et il n’a même pas eu l’air très désapprobateur quand le capitaine a pris des chopes d’argent et qu’il y a versé du rhum. J’ai goûté à mon godet et je dois dire que ça a complètement changé mon avis sur la question. Il n’y avait rien de louche à propos de ce rhum et j’ai senti qu’il était ridicule de blâmer les gamins de boire trop de cette boisson-là. J’avais l’impression que ça me remplissait les veines de miel et de feu.
Le pasteur a expliqué tout nettement ce qui se passait au capitaine mais je n’écoutais pas vraiment, j’étais occupé à siroter mon verre et à regarder par la baie les poissons qui nageaient au-dessus des navets du patron. A ce moment-là ça me semblait la chose la plus naturelle du monde, quoique plus tard évidemment, j’aie compris que ça prouvait bien que c’était un navire fantôme.
Enfin j’ai quand même trouvé bizarre sur le moment de voir un marin noyé flotter en l’air, des bulles plein les cheveux et plein la barbe. C’était la première fois que je voyais quelque chose de ce genre à Fairfield.
Pendant tout le temps où je contemplais les merveilles des grands fonds, le pasteur racontait au capitaine Roberts qu’on ne connaissait plus la paix au village à cause de la malédiction de l’ivrognerie et que les jeunes fantômes donnaient le mauvais exemple aux plus âgés. Le capitaine écoutait attentivement et se contentait de dire un mot de temps en temps, à propos de la nature des jeunes gens, et des histoires de jeter sa gourme. Mais quand le pasteur a fini son discours il a rempli nos chopes d’argent et il a dit au pasteur avec un grand geste :
– Je serais désolé de causer du tracas là où j’ai reçu un bon accueil, et vous serez heureux d’apprendre que je reprends la mer demain soir. Maintenant vous devez boire à ma santé pour me souhaiter bon vent.
Alors on s’est levés tous les trois et on a bu à sa santé et ce noble rhum était comme de l’huile bouillante dans mes veines.
A suivre...
(Richard Middleton, The Ghost Ship, 1912, traduction Pascale Renaud-Grosbras)
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