samedi 30 janvier 2010

Casseroles

La cafelière est très embêtée : elle n'a rien à dire. Même la réception du journal des CHR, qui d'habitude l'inspire, lui est passée par-dessus la tête. Il se passe au Café Clochette les choses ordinaires du Café Clochette, qui ne sont jamais banales, mais en dehors de ça, rien qui puisse la foudroyer d'inspiration là comme ça tout de suite, point de missives incendiaires contenant un Cerfa, point de banquier à l'ire gratouilleuse, point même de fournisseur nouveau dont elle pourrait vous toucher un mot. Il se passe des choses dans sa vie à elle, notez bien, mais ça, elle ne vous en parlera pas. Enfin à voir sa trogne, ce ne sont pas de mauvaises choses. Hier, elle est rentrée à pas d'heure (ben forcément, quand on va prendre le frais après le service, ça fait tard) et pour la première fois depuis longtemps, elle n'a pas eu d'insomnie. Elle a juste été réveillée par la meute féline vers 4 heures du matin, mais c'est de ma faute, j'avais expulsé sans le vouloir Timirrou de l'armoire en me retournant dans mon sommeil et ça a provoqué un certain remue-ménage. Bon, elle n'était pas ravie, elle a menacé de les attraper et d'en faire des mouffles avec une petite toque assortie, mais elle s'est rendormie aussi sec.
J'ai même l'impression qu'elle a fini par réussir à apprendre l'alphabet grec. Ah ben moi non plus je ne comprends pas pourquoi ça la réjouit à ce point et si vous avez eu des expériences malheureuses avec le grec ancien je conçois que ça vous fasse lever les sourcils, et si j'étais vous j'éviterais ces parages dans les jours à venir parce qu'elle a l'air de concocter un truc un peu pontifiant comme elle seule sait en faire (enfin non, quand j'étais jeune j'avais un prof de philo qui se posait là, mais ça n'a rien à voir), mais il paraît que ça a à voir avec la gratuité. Elle y tient beaucoup en ce moment la cafelière, à la gratuité. Un peu trop probablement pour une commerçante, mais bon, moi je suis un fantôme, hein, ce que j'en dis, de la gratuité, c'est que je ne suis plus concerné par le sujet. Vu que tout pour moi est gratuit, je veux dire. Enfin sauf un truc, mais je vous en parlerai une autre fois.
Donc, rien à dire. C'est malheureux quand même. Heureusement, je suis là et je prends les choses en charge quand c'est nécessaire. Tiens, l'autre jour, elle avait oublié un chocolat sur le feu, et bien c'est moi qui suis allé chercher les chats pour qu'ils fassent un fennec. Ca n'a pas manqué, ils ont mis un tel bazar qu'elle s'est retrouvée le tablier imbibé de chocolat chaud et l'air ébahi. Enfin la casserole était récupérable, c'était le principal, non ?
Tiens, en parlant de casserole. Je vous ai pas encore raconté cet épisode palpitant de ma vie, je crois bien. Il y a environ deux siècles, cette maison abritait un médecin. Il avait une servante qui s'occupait de sa maison et qui avait découvert mon existence un soir d'hiver, quand le vent soufflait par les lucarnes du toit. J'avais failli m'envoler et je lui avais atterri, si l'on peut dire, sur la tête. Ca lui avait fait un effet bizarre et elle avait fini par comprendre de quoi il retournait (moi). Comme elle n'avait pas plus peur de moi que des souris, on s'est très bien entendu. Elle avait un seul défaut, Suzette : elle ne savait pas faire rétamer les casseroles. Elle avait l'art de les confier à n'importe qui et de se retrouver avec des trous encore plus gros qu'au départ et d'où n'importe quelle soupe normalement constituée ne pouvait que s'échapper avec ardeur. Moi, je connaissais un collègue deux maisons plus loin, où vivait un petit garçon tout blond. Lui, il avait pour secrète ambition de devenir le meilleur rétameur de Rennes. Alors par l'entremise de mon copain, je m'arrangeais pour lui confier nos casseroles discrètement et il faisait ça comme ça, pour s'entraîner, et il était drôlement doué ce petit. Suzette, elle a fini par tellement s'habituer à avoir des casseroles impeccables en toute occasion qu'elle a fini par croire que c'était un don. Elle s'est mise à se vanter de ne jamais trouer ses casseroles, et je peux vous dire que dans le quartier, c'était une célébrité. Jusqu'au jour où le petit garçon, qui était devenu un peu plus grand, a découvert que la fille du voisin avait de jolies couettes et qu'il n'a plus du tout eu la tête à rétamer des casseroles, entremise de fantôme ou pas entremise de fantôme. Suzette s'est retrouvée petit à petit avec des casseroles qui recommençaient à fuir et elle a cru qu'elle avait perdu le don. Ca lui a fichu un tel coup qu'elle a démissionné du jour au lendemain pour aller épouser son promis à la campagne et lui trouer ses casseroles à lui. Et qui est-ce qui s'est retrouvé tout penaud avec des tas de casseroles trouées, un médecin pas content-content et des courants d'air dans le grenier ? et oui, c'est bibi, Alphonse. Et vous savez ce que j'en ai fait, des casseroles ?
Ouhla, attendez, je vois la cafelière qui arrive par ici, sérieusement décidée à s'emparer de l'ordinateur. Je ferais mieux de me faire rare. A bient...

1 commentaire:

La Mouette a dit…

Eh bien! Heureusement qu'il n'avait rien à raconter, le p'tit Morfati, dis, j'espère qu'il n'embête pas la cafelière, quand même!! Si un jour on arrive à mettre la main dessus, je sais pas s'il faut lui faire la morale ou l'encenser pour sa prose... Bizz!

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