samedi 31 octobre 2009

Un cochon c'est un cochon, 5

Flannery passa une journée à pousser ses protégés par une petite ouverture de leur enclos afin de les compter.
« À l’attention du service de la comptabilité, écrivit-il lorsqu’il eut terminé ses calculs. Vous êtes complètement à côté de la plaque, il y a peut-être eu cent soixante cochons métèques à une époque mais réveillez-vous, c’est un vieux numéro. J’en ai exactement huit cents maintenant, dois-je demander la somme totale pour huit cents ? Et les soixante-quatre dollars que j’ai déboursés pour les choux ? »
Il fallut un bon nombre de courriers et de contre-courriers avant que le service de la comptabilité ne soit en mesure de comprendre pourquoi il y avait eu une erreur de facturation pour cent soixante plutôt que pour huit cents, et encore plus de temps avant qu’ils ne comprennent la signification de « choux ».
Flannery ne disposait plus que d’un mètre ou deux dans son bureau. Les cochons disposaient de tout le reste et deux garçons étaient employés à plein temps pour s’occuper d’eux. Le lendemain du jour où Flannery compta les cochons d’Inde, il en naquit huit de plus, et lorsque le service de la comptabilité lui eut donné l’autorisation de facturer huit cents cochons, Flannery avait renoncé à s’occuper de la réception ou de la livraison de toutes les marchandises arrivant à Westcote. Il s’affairait à construire des galeries tout autour du bureau, étage après étage. Il avait quatre mille soixante-quatre cochons d’Inde à sa charge et il en arrivait de nouveaux tous les jours.
Juste après lui avoir fait parvenir l’autorisation de facturer, le service de la comptabilité lui envoya une autre lettre, mais Flannery était trop accaparé par les cochons pour prendre le temps de l’ouvrir. Ils en envoyèrent une autre, puis télégraphièrent :
« Erreur dans la facture pour cochons d’Inde. Facturez deux cochons d’Inde, total cinquante cents. Livrez le tout au consignataire. »
Flannery lut le télégramme et se dérida. Il écrivit la facture aussi vite que son crayon pouvait courir sur le papier et courut jusqu’à la maison des Morehouse. A la grille, il s’arrêta net. La maison l’observait d’un regard vide. Les fenêtres n’avaient pas de rideaux et il pouvait voir à l’intérieur des pièces désertes. Sur le porche, une pancarte disait « à louer ». M. Morehouse avait déménagé ! Flannery cavala jusqu’au bureau de transport. Soixante-neuf cochons d’Inde étaient nés pendant son absence. Il courut à nouveau pour aller s’enquérir au village, où il apprit que non seulement M. Morehouse avait déménagé, mais qu’il avait aussi quitté Westcote. Flannery retourna au bureau et découvrit que deux cents six cochons d’Inde avaient vu le jour entre-temps. Il télégraphia au service de la comptabilité.
« Impossible de facturer cinquante cents pour deux cochons métèques, consignataire a quitté la ville, adresse inconnue, que faire ? Flannery. »
Le télégramme fut apporté à un des employés du service de la comptabilité qui le lut et se mit à rire.
– Flannery doit être fou. Il devrait savoir que la seule chose à faire c’est de renvoyer la marchandise ici, dit l’employé.
Il télégraphia à Flannery d’envoyer les cochons au siège social de la compagnie, à Franklin.




A suivre...

Ellis Parker Butler, Pigs is Pigs (1905), traduction de Pascale Renaud-Grosbras

Aucun commentaire:

Blog Widget by LinkWithin