mercredi 1 juillet 2009

ô Dulac

Reçu ce matin une lettre qui me met en joie - je crois. Elle émane d'un groupe sis aux Champs-Elysées parisiens, lequel groupe me dit-on fut fondé en 1973, et qui se dit "spécialiste en transmission d'entreprises et d'industries". Coordonnées sur demande, des fois que ça vous intéresse, ô fidèle lecteur. Ce courrier est personnel et confidentiel mais je me suis réunie et j'ai statué, dans le but de le partager avec vous quand même.

"Vous souhaitez céder votre affaire ? nous avons les repreneurs !
Madame,
Nous avons le plaisir de vous informer que l'un de nos clients pourrait être intéressé par l'acquisition d'une entreprise similaire à la vôtre :
Réf. : 553B Restauration de type rapide
Si notre offre vous intéresse, vous pouvez prendre directement contact avec le service de Monsieur O.DULAC, en précisant la référence ci-dessous pour identifier votre appel. Nous pourrons ainsi convenir d'un rendez-vous avec l'un de nos chargés de Mission, sans engagement de votre part et dans la discrétion la plus absolue, afin de nous entretenir de votre projet. Nos actions sont : Anonymes, Confidentielles et Discrètes.
Nos 36 années d'expérience et notre compétence sont au service de vos intérêts.
Par avance, merci de votre confiance.
Le service de Monsieur O.DULAC

Réf. B59 *************** 553B
NB : Nous vous précisons que notre groupe, fort de 36 années d'expérience, a traité plus de 6000 dossiers de Cession-acquisition au cours de ces douze derniers mois.
[] Pour ne plus recevoir ce message, merci de bien vouloir cocher la case et nous retourner le document."

Cher Monsieur O. Dulac,
Avant toute chose, permettez-moi de vous dire que vous avez un nom merveilleux, j'espère que je ne suis pas la première à vous le dire et qu'il éclaire vos jours comme il éclaira ma matinée entre une mise au four de poulet rôti et une expédition à la banque accompagnée d'un MiniLoup juché sur sa draisienne et peu enclin à s'arrêter devant les pigeons (plutôt dessus, s'il avait pu). La matinée ayant été chaude et tirant à présent sur l'orageux, je vous prie de croire que ce courant d'air frais dans mon quotidien fut une bénédiction, surtout qu'entre le poulet rôti et la course à la draisienne, la cafelière avait déjà pas mal souffert de la chaleur.
Ceci étant fait, je me permets d'ajouter que votre offre tombe à pic. Je ne sais si vous l'avez fait exprès ou si vous vous êtes contenté de donner pour instruction à votre secrétaire ou à votre stagiaire du moment d'éplucher les registres du commerce de notre bonne ville de Rennes (département Ille-et-Vilaine, par là-bas à l'Ouest, au bout des Champs en gros, puis un peu au sud), mais, sachez-le, votre offre me touche particulièrement à un moment ou, en effet, la question se pose.
Je ne peux pas vous promettre en toute honnêteté que prendre mon téléphone pour vous appeler sera mon premier geste, au cas où les banques me refusent dans les semaines qui viennent le prêt qui m'est indispensable pour ne pas mettre la clé sous la porte. Je pense, me connaissant un peu depuis le temps, que j'irai joindre mes larmes à l'averse du moment, quitte à m'en vouloir pour le reste de cette éternité et de la suivante d'avoir contribué à noyer les caves de mes voisins.
Par contre, je serai sûrement en mesure de venir vous voir ensuite, ayant réservé mes petites larmes bretonnes à la capitale de cette belle région, pour, bravant le métro parisien et les pigeons que rien n'étonne, même pas une draisienne domptée par un MiniLoup, vous expliquer pourquoi j'admire infiniment votre prose et en quoi je pense pouvoir vous être, à mon tour, utile.
L'objet de ma grande admiration, c'est la phrase qui ouvre votre missive à la cafelière adressée : "Nous avons le plaisir de vous informer que l'un de nos clients pourrait être intéressé par l'acquisition d'une entreprise similaire à la vôtre." J'explique.
"Nous avons le plaisir..." : ça fait toujours plaisir que quelqu'un ait plaisir à quelque chose qui vous concerne, ne serait-ce que vous adresser un courrier pas tellement fait pour vous faire rigoler, donc là, super, parfait, ne changez rien.
"de vous informer que..." : c'est la teneur du message, vous tenez à me communiquer une information.
"l'un de nos clients pourrait être intéressé" : très fort, parce que pour des restaurateurs aux abois en ces temps difficiles, savoir qu'un client, même si ce n'est pas le sien, est intéressé, ne manquera pas de lui faire plaisir, voire de lui redonner un espoir insensé car un commerçant vit d'espoir, d'eau fraîche, de l'air du temps et du bon vouloir des clients.
"par l'acquisition d'une entreprise" : là aussi, le commerçant qui n'est jamais totalement à l'abri d'un coup de fatigue trop insupportable pour être supporté, peut voir une issue à son problème du moment, en plus ça fait sérieux, dossier en carton gris retenu par un ruban tissé et tout et tout.
"similaire à la vôtre" : impeccable... car si ça se peut pour les autres, hein, pourquoi pas pour lui, se dit le commerçant.
Une lecture rapide tendra donc à redonner le sourire à notre commerçant et ça, c'est indubitablement toujours bon à prendre. Peut-être oubliera-t-il de lire ce que cette phrase signifie réellement, c'est-à-dire "nous avons des clients, ça leur arrive d'avoir envie d'acheter des trucs, rien n'est moins sûr, en plus c'est pas vous mais votre concurrence qui les intéresse alors si vous ne vous dépêchez pas ou si vous vendez trop cher ils risquent d'acheter ailleurs, enfin on veut quand même vous en faire profiter mais faut discuter et si vous êtes vraiment aux abois on pourra voir à vous donner un petit quelque chose pour vous dépanner quand on aura pris la peine de reprendre votre entreprise qui coule et dont personne ne veut, ben faut voir qu'en ce moment les restaurations de type rapide ça court les rues en plus", mais dame...
Alors vous pensez bien, mon cher Monsieur, que je ne vais pas cocher la case [], parce que vos actions Anonymes, Confidentielles et Discrètes m'épatent beaucoup et que j'espère bien que vous me tiendrez au courant de la suite.
Et puis j'allais vous proposer mes services pour me reconvertir dans l'écriture de lettres pour votre compte mais je m'aperçois que je viens de démontrer que vous le faites infiniment mieux que moi et surtout plus court. Alors si je dois me reconvertir, je pense que je me dirigerai plutôt vers le comptage des points de coccinelles.
Bien à vous, etc.
La cafelière du Café Clochette

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges
Jeter l'ancre un seul jour ?

Ô lac ! l'année à peine a fini sa carrière

Pascale a dit…

Très bien trouvé ! ça ressemble assez à la vie du commerçant en plus... une piste pour l'exégèse peut-être...

fredo a dit…

Pascale, j'aime toujours autant te lire... Et pourtant ce billet me colle une angoisse au ventre... Le cape-chat du jour est totalement approprié : "retste" !!!!

La Mouette a dit…

C'est effrayant, tout ça, et j'espère sincèrement que tu vas traverser l'orage et en ressortir plus forte! En tout cas, très jolie prose... COURAGE!!

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